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christianisme, que l’on voulait empêcher, grandissait par la lutte; au contraire ce qui perdit les religions païennes, ce fut la protection que le pouvoir laïque leur donna et les efforts qu’il fit pour les imposer à ceux qui songeaient à se détacher d’elles. La foi libre était l’opprimée, la religion esclave était celle que l’empereur armé protégeait; l’une vainquit, l’autre tomba. Il ne se trouva pas un homme éloquent pour la relever de sa chute, tandis que brillaient dans des chaires nombreuses les plus éloquens apologistes de la religion nouvelle. Si la religion chrétienne continuait d’être protégée et que cette protection devînt pour elle un asservissement, elle serait dans la condition du paganisme sous les empereurs non chrétiens, et si elle acceptait finalement cette situation subordonnée, elle serait infidèle à son origine et à ses traditions. Ce lit de repos où elle s’endormirait serait un lit de mort d’où elle ne se relèverait plus; la sainte parole irait s’éteindre dans le silence des tombeaux. Si le Verbe divin veut encore se faire entendre, il faut qu’il accepte résolument la situation que les sociétés modernes veulent lui faire, qu’il accueille la liberté pauvre qu’elles lui offrent, qu’il renonce à soutenir la lutte sur un terrain où il n’a pas d’adversaires sérieux, qu’il laisse à d’autres une éloquence plus politique que religieuse, et n’ait plus pour ennemi que l’ennemi éternel du genre humain, le vice et l’immoralité. Là encore une grande carrière est ouverte à son éloquence. La lutte peut être vive, car l’immoralité s’étale chez nous avec une publicité que notre enfance n’avait point vue; elle est partout, dans les lettres et dans les arts, dans la vie privée et dans la vie publique, à tous les degrés de l’échelle sociale. C’est contre cet ennemi commun de la société civile et de la société religieuse que l’éloquence sacrée peut entreprendre une lutte qu’elle soutient ailleurs sans espoir de succès. C’est lui en effet et non les pouvoirs temporels des nations qui porte la plus rude atteinte à l’indépendance et à l’existence de la religion; s’il venait à prendre le dessus chez nous au point que l’équilibre social fût rompu à son avantage, la religion s’en allant avec les mœurs, il faudrait un nouveau Christ pour nous sauver.


II.

On vient de voir, par la théorie et par l’histoire, comment la liberté est la condition essentielle de l’éloquence sacrée, comment la liberté religieuse s’acquiert et se soutient par la lutte : c’est à l’orateur de choisir et de bien distinguer son véritable adversaire. L’éloquence politique est de tout point dans des conditions analo-