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l’ancienne éloquence athénienne, et qui en revêtait des doctrines dont l’Orient seul avait le secret. Ces doctrines avaient une tendance manifeste vers la théocratie et la religion d’état, car elles venaient de la Perse et de l’Inde, où le système des castes élevait la classe sacerdotale au-dessus des autres. De plus, à mesure que les communautés chrétiennes s’étendaient et se multipliaient dans l’empire, elles substituaient peu à peu une société religieuse à la grande société civile et politique qu’elles finirent par absorber. Quand les peuples modernes commencèrent à leur tour l’œuvre de leur constitution, les gouvernemens se trouvèrent plus ou moins en état d’hostilité avec le sacerdoce, et l’hostilité fut d’autant plus apparente et plus active qu’ils donnèrent dans la loi de l’état une importance plus grande à l’élément laïque. Je n’ai pas besoin de rappeler ici des luttes dont tout le monde connaît l’histoire et qui ont couvert de sang plusieurs parties de l’Europe. C’est donc contre l’élément laïque des sociétés modernes que l’église eut à défendre sa liberté et à montrer sous toutes ses formes l’ardente éloquence de la parole divine. Si l’église avait pu dans la suite des temps renoncer à être une société complète, c’est-à-dire à la fois temporelle et spirituelle, elle aurait eu le sort des religions grecques et romaines de l’antiquité : non-seulement elle aurait été conduite à cesser son prosélytisme, mais encore, n’exerçant dans la société que l’influence d’une corporation dispersée et sans action homogène et générale, elle eût vécu retirée dans ses sanctuaires, et ne se fût plus adressée que dans le secret à la conscience individuelle. Pour cela, il eût fallu qu’elle renonçât à l’esprit qu’elle tient de son origine orientale et à la tradition qu’elle s’est formée à elle-même pendant les siècles de son établissement. Il se peut qu’un jour la force des choses, c’est-à-dire des idées et des tendances nouvelles, la conduise à s’isoler de la société laïque et à vivre au milieu d’elle dans les conditions énoncées en manière de formule par un grand homme d’état italien; mais il faut bien compter que, si la violence n’intervient pas (ce qui ne servirait qu’à éloigner l’issue des événemens), cette transformation de la société religieuse ne pourra s’opérer que par degrés, et qu’elle s’opérera d’elle-même : une loi universelle de la nature qu’il faut avoir sans cesse présente à l’esprit veut que les choses commencent et finissent insensiblement.

Jusque-là, la condition naturelle de l’église sera, comme elle l’a été, l’antagonisme et la lutte; par conséquent son premier besoin sera toujours d’être éloquente. Et qu’on le remarque bien, ce que la société religieuse défend par son éloquence, c’est sa liberté et rien de plus, du moins jusqu’au jour où elle confond sa liberté avec son empire. L’histoire ne nous offre aucun autre exemple d’une