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nique, puis chez les peuples latins. C’est par elle encore qu’il se conserve : s’il se réduisait au silence, il serait fort en danger de périr, parce que les livres ne sont jamais lus que par un très petit nombre de personnes, et parce que la parole d’un homme revêtu d’un caractère sacré fait plus en descendant sur une foule assemblée dans un lieu saint que des lignes imprimées, souvent difficiles à comprendre pour le vulgaire.

Il est bien digne de remarque que la religion chrétienne, en s’appuyant sur l’éloquence, a su la faire durer déjà dix-huit cents ans à travers les états sociaux les plus divers, sous toutes les constitutions politiques, sous tous les régimes. Je ne veux pas dire qu’à toutes les époques de cette longue histoire on ait fait des discours aussi bien composés que ceux de Lysias ou de Démosthènes; mais enfin on n’a pas cessé de prêcher, même dans les temps les plus durs : lorsque, par raison d’état, le pouvoir a fermé les églises ou renversé les chaires, on prêchait à l’étranger dans d’autres langues ou en secret dans des lieux fermés et clandestins. Quand l’heure de l’indépendance était revenue, il se trouvait que non-seulement l’usage de la parole n’était pas tombé en désuétude, mais qu’il avait conquis une vigueur nouvelle, accrue par le malheur et la nécessité du silence. Nos pères se souviennent encore de l’éclat répandu sur la chaire catholique par les prédicateurs qui ont succédé à la révolution.

Je ne puis aborder le sujet principal de cette étude, qui est l’éloquence politique, sans indiquer la cause qui a fait durer l’éloquence religieuse chez les chrétiens. Elle est la même que chez les bouddhistes : c’est le besoin de liberté dans la foi. Cette cause, visible pour tous, se rattache à une autre beaucoup plus profonde. Il y a dans le christianisme un ensemble de doctrines fondamentales groupées autour de la théorie du Verbe. Métaphysiquement le Verbe est fils de Dieu et Dieu lui-même; pratiquement c’est la sainte parole que le Christ a enseignée aux hommes de l’Occident pour les rendre solidaires les uns des autres, et qui veut se conserver à travers les temps sans changer de forme et sans se dénaturer. La théorie de la parole sainte, aussi vieille que la race aryenne, à laquelle elle appartient, a successivement ou en même temps animé les grandes religions orientales de l’Inde et de la Perse.

Voici quelques strophes tirées du Véda et dont nos lecteurs apprécieront la portée. Après avoir dit qu’elle marche avec les dieux et qu’elle est leur véhicule, la parole personnifiée ajoute :

«... J’accorde l’opulence à celui qui m’honore par l’holocauste, la libation, le sacrifice.

« Je suis reine et maîtresse des richesses; je suis sage; je suis