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race, sinon chez tous. Seulement, comme l’éloquence est de toutes les œuvres littéraires celle qui est le plus étroitement liée à l’action, chacun d’eux a réalisé l’éloquence dans la mesure et dans les conditions compatibles avec son état social.

Il y a de grandes nations aryennes qui n’ont point connu l’éloquence politique, tandis que chez elles d’autres genres de composition littéraire se développaient avec le plus grand éclat. Chez d’autres, c’est l’éloquence religieuse qui a fait défaut, parce que la religion n’y exerçait pas de prosélytisme et ne s’y enseignait point par la voie des prédications. Quelques-unes ont vu fleurir chez elles les trois formes de l’éloquence, la prédication, le discours politique et le plaidoyer. Ainsi chez les Indiens nous ne voyons pas qu’il y ait jamais eu d’éloquence politique, la prédication ne semblé pas non plus s’y être produite pendant tout le temps qu’a régné sans conteste l’institution brahmanique; mais aussitôt que le Bouddha eut commencé d’enseigner aux hommes l’égalité devant la foi et devant la nature, de tirer ses prêtres des derniers rangs du peuple comme des premiers, on vit apparaître l’éloquence religieuse avec une puissance d’action que les générations antérieures n’avaient pas soupçonnée. Les procédés se fixèrent, il se fonda sous forme de couvens des écoles de frères prêcheurs analogues à nos dominicains. La loi nouvelle s’enseigna dans tout l’Orient, soit en style direct, soit en paraboles, et l’usage de donner du haut d’une chaire l’instruction pieuse aux hommes assemblés devint là, comme chez les chrétiens, un des principaux devoirs du sacerdoce. Bien ou mal pratiquée, l’éloquence de la chaire dure chez les bouddhistes depuis le temps du maître, c’est-à-dire depuis le VIe siècle avant Jésus-Christ : cela fait donc à peu près vingt-quatre siècles.

Chez les Grecs, un fait analogue s’est présenté. Pendant toute l’antiquité, l’éloquence de la chaire a été chez eux totalement inconnue. Il ne se donnait pas d’instruction religieuse dans les temples, puisque le peuple n’y était pas admis. Il n’y avait ni catéchismes, ni prédications, parce qu’il n’y avait pas de clergé, et que le sacerdoce ne formait pas une puissance sociale organisée et reposant sur des principes de croyance arrêtés. Les enfans allaient en rang chez le pédagogue de leur quartier, comme les nôtres chez les frères ignorantins; mais on ne dit pas qu’ils se rendissent jamais en un lieu sacré pour y recevoir l’enseignement d’un prêtre. Il faut en excepter peut-être les petites filles qui, sous le nom d’ourses, étaient consacrées pendant quelques années à une certaine Diane de l’Attique. Quand la prédication fit son apparition dans le monde grec, ce fut comme une révolution qui commençait : le christianisme est né d’elle, ou plutôt c’est par elle qu’il a grandi dans le monde hellé-