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de leurs billets venir au remboursement. Il faudrait, de même qu’en Angleterre, pourvoir au vide qui serait fait par ces remboursemens, et comme la Banque de France ne serait pas préparée à une augmentation de sa propre circulation, qu’elle n’aurait pas les ressources suffisantes pour la réaliser en toute sécurité, les embarras seraient beaucoup plus graves, et les mesures restrictives bien plus nécessaires que si on n’avait jamais eu affaire qu’à une seule circulation, celle de la Banque de France. Veut-on par impossible que les banques locales, dans les momens de crise, aient une existence indépendante de la Banque de France et puissent augmenter leur circulation pendant que celle-ci diminuerait la sienne, — la situation serait pire encore, l’argent émigrerait au plus vite, et un beau jour on aurait une crise commerciale doublée d’une crise de papier-monnaie. La plupart des banques locales feraient banqueroute, comme cela est arrivé en Angleterre en 1825 et en 1837.

Si maintenant on nous dit que l’unité du billet au porteur représente le monopole et qu’il faut être pour la liberté en toutes choses, nous répondrons que les idées métaphysiques n’ont rien à faire lorsqu’il s’agit des intérêts matériels. Qu’on prouve que la liberté d’émission vaut mieux que l’unité, qu’elle met davantage à l’abri des crises, qu’elle assure l’argent à meilleur marché, et on sera écouté dans ses réclamations contre le monopole; mais si on ne fait pas cette preuve et que ce soit le contraire qui résulte de la liberté de l’émission, c’est-à-dire des embarras plus nombreux et l’argent plus cher, alors le seul mot de liberté n’est plus un argument dans la question. Le monopole de l’émission des billets au porteur est de la nature de ceux que l’état se réserve. Tant que l’état n’abandonnera pas à la libre concurrence le soin de battre monnaie, tant qu’il ne laissera pas faire le service de la poste et des dépêches télégraphiques par qui voudra, qu’il conservera la fabrication exclusive de la poudre, qu’il déléguera sous sa responsabilité et sous son contrôle l’exploitation en monopole des chemins de fer, on ne sera pas admis à prétendre que le monopole de l’émission des billets au porteur est une atteinte à la liberté de l’industrie. Le monopole de l’émission des billets au porteur, autrement dit de la fabrication d’une monnaie sous une autre forme que celle de l’or et de l’argent, est un service public comme tous ceux que nous venons d’indiquer, et il n’appartient qu’à l’état de le rendre, parce que l’état seul inspire la confiance qui est nécessaire pour cela.


VICTOR BONNET.