Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela surtout que l’élévation du taux de l’escompte a toute l’efficacité désirable.

Il ne faut pas se figurer, parce qu’on voit tout à coup 2 ou 300 millions de numéraire disparaître des caisses de la Banque de France ou de celle d’Angleterre, que la crise tienne à ces 2 ou 300 millions de moins. Il serait trop facile de les remplacer dans des pays où le mouvement d’affaires roulé sur plusieurs milliards. On ne subirait pas une crise pour avoir dépassé de 2 ou 300 millions seulement les ressources disponibles. La France a eu quelquefois, et notamment trois années de suite, en 1854, 1855 et 1856, à exporter une pareille somme pour se procurer les céréales qui lui manquaient. Elle a pu le faire sans traverser une crise, parce qu’à ce moment les conditions du commerce étaient saines, et qu’on n’était pas engagé au-delà de ce qu’il fallait. Le déplacement de ces 2 ou 300 millions de numéraire avait à peine agi sur l’encaisse de la Banque de France; mais lorsqu’au contraire on voit l’encaisse de la Banque diminuer tout à coup d’une pareille somme, c’est que la situation est toute différente. La diminution des 300 millions n’est plus alors qu’un symptôme. Elle indique qu’il y a un écart plus ou moins considérable entre les ressources disponibles et le capital engagé. Quel sera cet écart? Il est difficile de l’établir au juste; mais, si nous supposons qu’il y a 5 milliards de stock métallique pour servir à un ensemble d’opérations qu’on peut évaluer à 50 milliards, c’est-à-dire que le numéraire soit au capital circulant dans la proportion de 1 à 10, 300 millions de moins dans le numéraire indiquent une somme dix fois plus forte d’opérations qui ne reposent que sur le crédit, soit 3 milliards. Je ne saurais trop insister sur ce rapport entre le stock métallique et l’ensemble du capital roulant, parce que c’est le nœud de la question et qu’on ne comprendra jamais rien aux crises financières ou monétaires, comme on veut bien les appeler, si on se figure que la rareté du numéraire est indépendante de celle du capital disponible, et que lorsqu’on a, par exemple, le change contre soi, et que l’encaisse de la Banque de France diminue de 2 ou 300 millions, il ne s’agit, pour éviter la crise, que de procurer à la Banque les 2 ou 300 millions qui lui manquent, soit en augmentant son capital, soit en l’obligeant à vendre ses rentes ou par tout autre expédient plus ou moins chimérique. Trompé par les apparences, on a essayé quelquefois de se procurer par d’autres moyens que par l’élévation du taux de l’escompte les métaux précieux qui venaient à manquer, on en a acheté directement. La Banque de France a dépensé à cet effet, en 1855 et 1856, 15 millions de francs, payés en prime pour une acquisition de métaux précieux qui s’est élevée à près de 1400 millions de francs;