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taux dans le pays créditeur pourra encore escompter sa propre traite et ajouter ce nouveau bénéfice à celui du change. Il réalisera ainsi un bénéfice de 1 1/2 pour 100 sur toute opération à trois mois d’échéance, et comme cette opération ne lui coûte rien, qu’il peut la faire sur son propre crédit, avec des capitaux qu’il emprunte à 4 pour 100 pour les prêter à 6, il est évident qu’il est disposé à l’étendre autant qu’il le pourra et à faire passer au dehors tout le capital métallique qu’il trouvera moyen de se procurer. Ce capital sera peu considérable, je le reconnais; évaluons-le seulement à 200 ou 300 millions. Il est des momens où il est fort préjudiciable à un pays d’envoyer tout à coup 200 ou 300 millions de numéraire au dehors lorsqu’il en aurait grand besoin chez lui. Je sais bien que certains esprits ont l’habitude de se récrier contre l’inquiétude que peut inspirer une telle exportation. Il est, disent-ils, indifférent qu’on exporte du numéraire au lieu d’exporter d’autres marchandises. « Les produits s’échangent toujours contre les produits; » si on exporte pour 200 ou 300 millions de numéraire de plus à un certain moment, c’est qu’on a trouvé profit à le faire. On a importé d’autres marchandises qui ont paru plus avantageuses. Se plaindrait-on d’avoir exporté pour 200 ou 300 millions de vin de plus qu’à l’ordinaire?

Sans doute l’argent est une marchandise qu’on peut avoir intérêt à exporter à certains momens plutôt qu’autre chose, — nous l’avons éprouvé cette année même; — mais il est d’autres momens où cette exportation peut causer de graves préjudices. Si on exporte pour 200 ou 300 millions de vin de plus qu’à l’ordinaire, et que cette exportation produise la rareté et le renchérissement du vin, c’est un inconvénient pour le consommateur qui est amplement compensé par le bénéfice du producteur et par le profit général qu’en retire la communauté en important d’autres produits et en développant ses affaires en conséquence. Il n’en est pas de même du numéraire : si on en exporte pour 200 ou 300 millions de plus, et que cette exportation produise la rareté, l’inconvénient n’est plus limité à un seul objet et n’atteint plus une seule classe d’individus, il devient général et atteint tout le monde. Un économiste américain fort distingué, M. Carey, a dit, en parlant du numéraire, qu’il était comme un rail sur lequel glissent les transactions : supprimez le rail, vous supprimez les transactions. On peut, il est vrai, faire passer plus de transactions sur le même rail à l’aide du crédit; mais il y a une limite à cette extension, et cette limite est surtout étroite et gênante dans les momens où l’on a plus à payer qu’à recevoir au dehors, et où par conséquent tous les ressorts du crédit sont déjà très tendus. Dans ces momens-là, si on laisse aller à l’extérieur