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cert ; mais il faut s’expliquer sur l’étendue de cette solidarité. Si on va jusqu’à dire que le capital de la France soit tout prêt à se déverser en Angleterre quand il y a entre les deux pays une différence de 2 à 3 pour 100 dans le taux de l’intérêt, on se trompe assurément. Il y a beaucoup de raisons pour qu’il n’en soit pas ainsi; d’abord on aime toujours mieux un intérêt moindre dans un pays que l’on connaît qu’un intérêt plus élevé dans un pays qu’on ne connaît pas, indépendamment des facilités de réalisation, qui sont plus grandes dans un cas que dans l’autre; puis il y a, pour déplacer son capital, des frais de transport à supporter, des commissions, des assurances à payer, et ce n’est pas pour une simple différence de 2 à 3 pour 100, différence en général de peu de durée, qu’on subirait tous ces frais. Le capital qui est prêt à s’en aller pour profiter de cette différence de 2 à 3 pour 100 est un capital cosmopolite qui est entre les mains des banquiers, de ceux qui ont avec l’étranger des rapports constans, et pour lesquels un déplacement de numéraire est chose facile. Il s’en va d’abord par le change lorsque le change est contraire.

Les nations, par leurs rapports de toute nature, sont débitrices ou créancières les unes des autres; elles sont débitrices quand elles ont importé plus qu’elles n’ont exporté, ou que, pour une raison ou pour une autre, elles ont plus à payer qu’à recevoir dans un pays. Dans ce cas, le solde doit toujours se faire en numéraire : celle qui est débitrice a ce qu’on appelle le change contraire, c’est-à-dire que, la balance ne pouvant se faire par la voie des échanges commerciaux, elle est obligée de fournir une différence en espèces; elle voit le prix de l’argent hausser à son préjudice, comme hausse sur le marché le prix de toute marchandise qui est plus demandée qu’offerte. S’il s’agit de nos rapports avec l’Angleterre, la livre sterling, qui en temps ordinaire vaut 25 francs 10 ou 12 centimes, coûtera 25 francs 25 ou 30 centimes, c’est-à-dire qu’il nous faudra payer 25 francs 25 ou 30 centimes toutes les fois que nous aurons une livre sterling à faire parvenir en Angleterre. Qu’arrive-t-il alors? Que des banquiers qui sont en relation d’affaires avec les pays où il y a un solde à payer, avec l’Angleterre par exemple, pour profiter de cette différence dans le change qui peut s’élever à 1 pour 100, laisseront dans ce pays les capitaux qu’ils peuvent y avoir, et en enverront même d’autres en fournissant des traites à ceux qui en auront besoin.

Si maintenant à cette différence du change vient se joindre une nouvelle différence dans le taux de l’intérêt, si dans le pays créditeur l’intérêt est de 6 pour 100, tandis que dans le pays débiteur il n’est que de 4 pour 100, le banquier qui a des capi-