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La Banque de France, qui n’a pas d’act de 1844 pour la protéger, ne s’est jamais trouvée dans une situation aussi critique, avec un écart aussi considérable entre ses ressources et ses engagemens.

On a répété à la décharge de l’act que, si la Banque d’Angleterre en avait déjà demandé trois fois la suspension, elle ne s’était servie qu’une seule fois, en 1847, de la licence qui lui avait été accordée à cet effet, qu’en 1866 comme en 1857 elle n’avait pas eu besoin d’en faire usage. Pourquoi n’en a-t-elle pas fait usage? Parce qu’aussitôt que le public a été informé que la Banque d’Angleterre n’était plus renfermée dans les limites rigoureuses de l’act, qu’elle pouvait, à certaines conditions, étendre sa circulation fiduciaire au gré des besoins, la panique s’est calmée, l’effet moral était produit, on n’avait plus besoin des ressources qu’on ne demandait avec tant d’instances que parce qu’on craignait de n’en pas avoir. Mais cette licence dont on ne se sert pas est précisément la critique la plus sévère qu’on puisse faire de l’act de 1844 ; elle montre que la limite qu’il pose à la circulation fiduciaire est purement arbitraire, sans rapport aucun avec les besoins du public et la disposition des esprits, puisqu’il suffit qu’elle soit écartée pour qu’immédiatement la confiance renaisse et que la crise se calme ; elle prouve encore que les abus de la circulation fiduciaire ne sont pas à craindre, même sans l’act de 1844, puisqu’on ne profite pas de l’autorisation qu’on a de l’augmenter. Enfin les effets désastreux produits à certains momens par cette limitation arbitraire, qui menace de suspendre toute la vie commerciale d’un pays, sont tellement évidens qu’un homme justement célèbre, sir George Cornewall Lewis, dont nous avons déjà plus d’une fois cité l’opinion, disait, en parlant de l’act, qu’il faisait plus de mal en une semaine qu’il ne pouvait faire de bien tout le reste du temps. Cette année encore nous avons eu une singulière démonstration de ce qu’il a d’anormal. Le ministre des affaires étrangères lui-même, lord Clarendon, voulant rassurer les capitaux étrangers et montrer à quoi tenait la violence de la crise, a cru devoir invoquer l’act de 1844 et en expliquer le mécanisme.

Si du moins l’act de 1844 donnait à la circulation fiduciaire la même valeur absolue que possède la réserve métallique, on comprendrait cette dérogation aux véritables principes sur lesquels repose l’émission des billets au porteur; mais il n’en est rien. Il ne faut pas perdre de vue qu’il y a aujourd’hui pour 375 millions de bank-notes qui n’ont aucune représentation métallique, qui sont émises contre pareille somme déposée à la Banque en valeurs publiques et qui ne pourraient pas être remboursées, si par suite d’une panique quelconque elles arrivaient au remboursement. Pourquoi