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mense dépréciation de toutes les valeurs et de toutes les marchandises, à laquelle personne n’échappa. Le désastre fut si grand que, dans un meeting qui eut lieu à cette époque, un personnage qui venait d’être témoin des calamités de la guerre de l’Inde compara les souffrances qui résultaient de la crise à ces calamités. Nous sommes encore tout près de la panique du mois de mai dernier, nous en avons vu le sombre tableau, qui a été tracé ici même par un de nos collaborateurs distingués, M. Wolowski[1]. Rien ne peut se comparer à l’émotion que produisit cette panique. Le crédit de l’Angleterre en fut ébranlé jusque dans ses fondemens. Nous n’avons cité là que les crises principales, nous n’avons pas parlé de ces embarras financiers qui depuis bientôt dix ans existent pour ainsi dire à l’état permanent en Angleterre, et qui ont donné à l’argent un prix beaucoup plus élevé que celui qu’il avait autrefois. Il résulte de ces faits que l’act de 1844 n’a eu pour effet ni de conjurer les crises, ni d’en atténuer la violence. Avons-nous besoin d’ajouter qu’il n’a pas été plus heureux au sujet des grandes fluctuations du taux de l’intérêt, qu’il devait aussi prévenir dans l’opinion de ses auteurs. Jusqu’en 1844, le taux de l’intérêt en Angleterre n’avait guère varié, il était resté à peu près fixe à 4 pour 100. Plusieurs causes avaient contribué à le maintenir ainsi : d’abord la législation, qui ne permettait pas de l’élever au-delà de 5 pour 100, législation qui ne fut supprimée qu’en 1839, puis la pratique adoptée par la Banque d’Angleterre. Elle ne s’attachait pas alors, comme l’a déposé dans l’enquête de 1848 M. Morris, un des gouverneurs de cet établissement, à suivre les fluctuations du taux de l’intérêt sur le marché. Lorsque le taux était au-dessous de 4 pour 100, elle n’escomptait plus, et plaçait ses fonds disponibles en consolidés qu’elle revendait plus tard, lorsque le taux s’élevait. De cette façon, n’entrant pas activement dans le mouvement commercial du pays, elle pouvait maintenir une espèce de fixité du taux de l’intérêt.

Cependant cette pratique avait déjà cessé quelque temps avant l’act de 1844, et c’est parce qu’elle avait cessé et qu’on avait été fort ému des grandes variations du taux de l’intérêt qu’avait ame-

  1. Les lecteurs de la Revue n’auront pas oublié les deux remarquables articles de M. L. Wolowski sur l’act de 1844 et la liberté des banques, qui ont paru dans les numéros du 15 août et du 1er septembre 1866. Les conclusions du travail que nous publions aujourd’hui s’écartent en quelque points importans des opinions soutenues par M. L. Wolowski. Personne ne s’étonnera de ces différences. La Revue croirait trop sacrifier à un parti-pris d’unité si elle se faisait une loi d’écarter, sur des questions d’un si haut intérêt pratique, des controverses qui ne peuvent être sans profit pour la vérité.