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quelque chose au préjudice de l’état, ils s’engageaient à le faire savoir au gouvernement. » Nous le voyons par exemple écrire lui-même à l’évêque d’Orléans pour le remercier des renseignemens qu’il lui a transmis sur les menées de ses ennemis dans son diocèse, et lui recommander de bien surveiller certains coupables[1]. Apprenant qu’il y a eu des agitations dans l’ouest, il témoigne son étonnement de n’en avoir rien appris par Bernier, ce qui le surprend d’autant plus qu’à la tête de ce mouvement est un ancien chef vendéen et plusieurs autres individus qui avaient confiance en lui[2]. Les apparences seules lui avaient été contraires, et l’évêque d’Orléans n’avait point, paraît-il, manqué en cette occasion à tout ce qu’on attendait de lui. Le premier consul est même si satisfait de ses services en ce genre qu’il charge M. Portails de le consulter sur le choix qu’il faudrait faire d’un ancien chouan qui jouirait très secrètement à Paris d’un bon traitement, afin d’y découvrir les hommes suspects de l’ouest[3]. Quand les circonstances sont tout à fait pressantes, le premier consul montre une telle confiance dans cet évêque qui est si bien selon son cœur, qu’il n’hésite pas à lui faire l’honneur de le traiter cette fois en véritable officier de gendarmerie. Il le charge donc non plus seulement de surveiller, mais de faire arrêter, s’il le peut, deux anciens chouans de sa connaissance[4].

Rien de plus triste que tous ces détails, et l’on ne sait en vérité de quoi s’affliger davantage, car si la conduite de M. Bernier est choquante et indigne d’un évêque, combien choquante aussi et indigne d’un chef d’état celle de Napoléon ! Lui qui parle de dégrader de pauvres prêtres soupçonnés de ne pas adhérer au concordat, quelle dégradation morale il inflige à celui qui a pris sous sa direction la part principale à cette grande œuvre dont il est si fier, et dont il s’apprête à recueillir le fruit ! Pour notre goût, nous aurions mieux aimé nous en taire ; mais après avoir scrupuleusement raconté quels étaient, à la veille du sacre, les rapports du premier consul avec le cardinal-légat à Paris, avec le pape à Rome, avec le clergé catholique en France, il nous a semblé utile de montrer quelle idée il se faisait au fond de l’âme du rôle qui revient aux ministres de cette religion dont le représentant le plus vénéré allait être appelé à venir dans quelques jours consacrer par une solennité inconnue depuis des siècles entiers son élévation à l’empire.


D’HAUSSONVILLE.

  1. Correspondance de Napoléon Ier, t. VIII, p. 158.
  2. Ibid., t. IX, p. 137.
  3. Ibid., t. IX, p. 225.
  4. Ibid, t. IX, p. 225.