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ceux de la raison que l’on parvient ici, jusqu’à un certain point, à obtenir du pape les changemens nécessaires; mais si l’on veut tailler à bras raccourcis dans la vigne du Seigneur au nom de Bonaparte, devant qui l’Europe demeure interdite et obéissante, on ne gagne autre chose ici que de jeter la terreur et de faire perdre la tête à des vieillards qui, avec beaucoup d’esprit, ne sont que sensibles et nullement courageux. Il n’y a nul mérite à prendre le ton haut avec de telles gens quand on a derrière soi la puissance de la France. Ce serait le moyen de tout gâter, et s’il arrivait qu’on en fût à ce point, il faudrait le dire bonnement, simplement et froidement, pour que cela eût son effet. Un ton plus haut produirait trop d’épouvante et la confusion des esprits...[1]. » — « Voyant la sensibilité du pape, je dois faire connaître au premier consul, qui certainement ne veut pas faire mourir de chagrin un religieux respectable, qu’il est nécessaire de le solliciter à ce que l’on veut sans trop le fâcher. Il a déjà accordé tant de choses qu’en poussant au-delà trop vigoureusement on pourrait mettre au désespoir non-seulement le pape, mais encore les vieux cardinaux qui ont passé quatre-vingts ans et qui disent : Je vais paraître devant Dieu auquel seul je devrai compte, et que m’importe la puissance de la France[2] ? »

M. Cacault, qui savait faire entendre à Paris de si judicieux conseils, remplissait non moins consciencieusement son devoir en répétant à Rome les raisons que le premier consul mettait en avant pour obtenir du saint-père les concessions qu’il avait tant de peine à lui arracher. Il lui servit entre autres cet argument favori de Bonaparte, que, si le pape ne cédait pas sur ces questions qu’il disait être pour lui des affaires de conscience, il risquait de jeter la nation française aux bras du protestantisme. À cette menace déguisée le saint-père fit la réplique qu’on va lire, et sur laquelle nous prenons la liberté d’appeler l’attention de tous les esprits réfléchis, et en particulier celle des catholiques qui repoussent comme trop contraire aux intérêts de la religion la séparation entre l’église et l’état. « Hélas ! m’a répondu le pape du fond de l’âme, nous n’avons de vraie paix et de vrai repos que dans le gouvernement des catholiques sujets des infidèles ou des hérétiques. Les catholiques de Russie, d’Angleterre, de Prusse et du Levant ne nous causent aucune peine : ils demandent les bulles, les directions dont ils ont besoin, et ils marchent après cela de la manière la plus tranquille, suivant les lois de l’église... Rien de si malheureux aujourd’hui que le souverain pontife : il est le gardien des lois de la religion, il est

  1. Dépêche de M. Cacault.
  2. Ibid.