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était désireux de s’entendre avec l’homme extraordinaire dont il appréciait autant que personne les prodigieuses facultés. Il prenait la peine de lui écrire de sa main, presque toujours en italien, sur les questions qui intéressaient particulièrement sa conscience de pontife, de longues lettres que le premier consul ne trouvait point toujours le temps de lire. Le pape le savait et n’en était point rebuté. Il aurait aimé à pouvoir l’entretenir de vive voix, s’imaginant qu’il pourrait ainsi découvrir le moyen d’avoir prise sur cette volonté indomptable. « Nous vous avons ouvert notre cœur tout entier, lui écrit-il un jour; vous voyez l’envie que nous avons à vous satisfaire, et toute la peine que nous prenons pour y réussir. Ce n’est pas la volonté, c’est la possibilité qui nous manque. Comment voulez-vous, cher fils, que nous luttions contre l’impossible? Les obligations auxquelles nous sommes assujetti ne vous sont point connues, ou vous sont mal expliquées à Paris... Nous comprenons qu’au milieu de vos grandes affaires le temps vous manque pour lire nos lettres. Il faudrait que nous puissions nous voir et nous parler. Si vous veniez à Milan comme vous l’avez annoncé, ne pourriez-vous pas saisir cette occasion pour venir nous trouver et nous entendre ainsi parfaitement? Nous ne saurions éprouver une plus grande joie[1]. »

Ce n’était pas évidemment dans la pensée de l’entretenir de sa reconnaissance pour le bien qu’il avait fait à la religion que le saint-père désirait si vivement voir le premier consul. Sa correspondance suffisait à lui porter à distance la touchante expression de sa sincère gratitude. Il aurait au contraire attaché un grand prix à lui pouvoir exposer ses cruelles tribulations. Comme souverain pontife chargé du gouvernement suprême des affaires de la chrétienté, il était mis dans de continuelles alarmes par la conduite non pas encore violente ni hostile, favorable plutôt en beaucoup de points, mais intermittente et saccadée, que Napoléon n’avait point cessé de tenir à son égard, et qui déjà lui inspirait les plus sérieuses appréhensions. Ou nous avons en effet mal expliqué le caractère de Pie VII, ou nos lecteurs ont dû deviner que l’assistance diplomatique prêtée au prince temporel dans ses rapports avec les cours étrangères et les égards personnels que le chef de l’état se plaisait parfois à lui témoigner, n’étaient pas à beaucoup près ce qui importait le plus au pieux pontife. La responsabilité qui, d’après sa propre foi, retombait tout entière sur le successeur actuel du prince des apôtres était sans cesse présente à la pensée du pape. Et de fait il est impossible d’imaginer un fardeau plus accablant pour la

  1. Le pape Pie VII au premier consul Bonaparte, 29 juin 1802.