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démocratie française. Excepté les ministres de Russie et d’Angleterre, ils étaient, à l’envi l’un de l’autre, appliqués à renchérir en fait de condescendance obséquieuse et d’empressemens serviles sur les instructions qu’ils recevaient de leurs cabinets, tous si favorables alors au premier consul. Sans contredit, la nature des questions remises entre ses mains rend la situation d’un cardinal-légat particulièrement délicate. Dans les matières purement religieuses, il devient assez difficile de comprendre la convenance, peut-être faudrait-il dire la possibilité de ces transactions qui sont l’essence même des affaires humaines. Plus que tout autre, le cardinal Caprara avait donc tort, si telle était en effet la raison de sa conduite, de se prêter, pour se mettre en meilleurs termes avec le premier consul, à des concessions qu’il supposait devoir être désapprouvées par sa cour; mais une chose nous a paru vraiment touchante, qui peut-être lui fera aussi trouver grâce auprès des censeurs les plus sévères : c’est de le voir, après qu’il a demandé au cardinal secrétaire d’état Consalvi de juger sa conduite temporelle avec indulgence, dépouiller tout à coup son rôle d’ambassadeur, et, s’adressant humblement comme un simple fidèle au dispensateur de toutes les grâces spirituelles, supplier avec larmes le saint-père, s’il a, faute de lumières, erré en matière de dogme, de vouloir bien par son absolution pontificale rendre au moins la paix religieuse à son âme[1].

Malheureusement pour le légat, tout n’était pas simple dans sa situation. Une circonstance que nous avons déjà indiquée ne laissait pas que de gêner sa liberté d’action comme représentant du saint-siège, et contribuait, plus qu’il ne s’en doutait lui-même, à le placer sous la domination assez peu déguisée de Napoléon. Il avait accepté le riche archevêché de Milan. En sa qualité de titulaire de ce siège important, il était tenu de prêter le serment accoutumé entre les mains du premier consul, qui était en même temps président de la république italienne. Le hasard voulut justement que cette prestation de serment se fît dans la chapelle des Tuileries fort peu de jours après les scènes que nous venons de raconter. Huit autres évêques français avaient prêté serment en même temps que l’archevêque de Milan, et le soir de la cérémonie le consul Cambacérès, recevant à sa table son glorieux collègue et les nouveaux évêques, ne manqua point d’y inviter aussi le légat. C’était la première fois qu’ils se rencontraient depuis l’affaire de la réconciliation des prêtres constitutionnels. Le repas fini, Napoléon s’entretint longtemps avec le cardinal. Il se montra attentif pour lui,

  1. Dépêche du cardinal Caprara au cardinal Consalvi. Lettre au pape, 18 avril, 13 juin 1802,