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lègues du sacré-collège et causé au saint-père et à son secrétaire d’état un déplaisir qu’ils ne lui avaient pas entièrement dissimulé[1]. Son crédit et sa considération en avaient reçu quelque atteinte au Vatican. Que décider cette fois? A quels reproches valait-il mieux s’exposer? Quel mécontentement était le moins rude à braver, celui du gouvernement français ou celui de sa propre cour? Caprara hésita longtemps. Le doux Pie VII était bien loin, Bonaparte était bien près. C’était au lendemain de son refus qu’il lui aurait fallu essuyer la terrible colère de celui que, dans son admiration italienne, Caprara appelait d’ordinaire il gran console. Cette dernière crainte fut la plus forte : non pas, est-il besoin de le dire? que le légat eût le moins du monde à redouter ou redoutât la moindre violence contre sa personne; c’est des périls affreux dont la religion lui semblait menacée que son âme pieuse fut alors uniquement occupée.

Nous voyons par ses lettres qu’il a pris au grand sérieux les pré- dictions effrayantes du premier consul et de M. de Talleyrand, corroborées par le témoignage des prélats amis de M. Portails. Les dépêches nombreuses dans lesquelles il s’applique à justifier la détermination qu’il a prise reproduisent à satiété ces mots de tempêtes, de fer, de feu et de flammes dont on a épouvanté ses oreilles. Il croit très sincèrement que de son refus, comme on le lui a dit, dépend la ruine de la religion catholique dans la presque totalité du monde; il voit en perspective éclater partout la guerre civile, et, chose plus épouvantable, la France entière devenir protestante. Qu’on ait un peu chargé le tableau afin d’agir sur sa conscience, l’idée ne lui en vient pas. Il ne semble pas se douter davantage du tort qu’il fait aux catholiques lorsque, par une injurieuse supposition, il semble admettre si facilement qu’à l’occasion d’un dissentiment purement religieux entre la puissance spirituelle et le pouvoir civil, ils sont tous prêts, sur un signe du nouveau maître, à abandonner la vieille foi de leurs pères. Quoi qu’il en soit des motifs qui décidèrent le légat, il finit par accepter la formule exigée par la lettre du conseiller Portalis. Il exprima seulement le désir qu’après avoir procédé à la réconciliation des prêtres constitutionnels, leur évêque légitime les avertît de pourvoir à leur propre conscience; mais cette clause déplut au premier consul, et les évêques furent expressément invités à n’en tenir aucun compte. A ceux qui seraient tentés de trouver excessive la complaisance de l’envoyé du saint-siège, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’à cette époque les représentans des anciennes monarchies de l’Europe n’avaient pas une autre attitude vis-à-vis du chef de la grande

  1. Dépêche du cardinal Consalvi au cardinal Caprara.