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mier consul, répliqua M. de Talleyrand en se retirant, et vous savez ce qui doit advenir. Réfléchissez, et calculez d’avance les conséquences qui découleront de votre détermination, non-seulement pour la France, mais pour les états voisins qui sont en relation avec ce pays. Tâchez donc, en conciliant les choses, d’apaiser la tempête qui s’élève, et songez que de là uniquement dépend ou la conservation ou la ruine totale de la religion et de l’église[1]. »

Les angoisses du cardinal-légat redoublaient; une anxiété extrême troublait son cœur, qui ne s’était point encore remis, écrit-il à Gonsalvi, de ce qu’il avait souffert dans l’entretien avec le premier consul. Cependant aucune trêve ne devait lui être accordée. Le lendemain au matin, l’ancien archevêque de Bordeaux, nommé récemment à Aix, accourut chez lui tout affligé et tout tremblant. « Tout sera en feu, lui annonçait ce prélat, s’il n’écrit aux évêques pour les autoriser à réconcilier provisoirement, en attendant la décision du saint-siège, les prêtres qui déclareraient adhérer au concordat. » Le cardinal refusa. A peine l’archevêque d’Aix était-il parti que revient l’évêque de Vannes avec une seconde lettre de M. Portails. Celle-ci était tout à fait péremptoire; il y fallait une réponse immédiate, et M. de Pancemont était chargé de la rapporter. En la demandant au nom du gouvernement français, l’évêque de Vannes redoubla ses instances. « Votre éminence, dit-il, ne peut se faire aucune illusion; à la décision que vous allez prendre est attaché le salut ou la perte de la religion catholique et de l’église, non pas seulement en France, mais ailleurs encore. Il y va de la paix publique et de la guerre civile, sans parler de la condition des évêques, qui ne se sont jamais trouvés dans une situation plus critique[2]. » La perplexité du cardinal était à son comble, et d’autant plus grande que Mgr Sala, Mgr Mario, l’abbé Rubbi, c’est-à-dire les ecclésiastiques les plus éminens de la légation, étaient tous d’avis qu’il ne pouvait accepter aucune transaction, et que l’arrangement proposé était d’ailleurs tout à fait inacceptable. Combien la position du légat était cruelle ! Avoir débuté par opposer un refus absolu tiré des scrupules de sa conscience et de l’inaltérable rigidité des principes catholiques, puis céder au dernier moment, c’était, par la plus fausse des conduites, donner contre soi au plus terrible des adversaires des armes dont il ne manquerait point de faire dans l’avenir, à chaque difficulté nouvelle, le plus dangereux usage. Le cardinal le sentait bien. Il n’ignorait pas non plus que sa complaisance dans l’affaire des évêques, si elle n’avait pas été publiquement improuvée, avait péniblement surpris ses col-

  1. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 juin 1802.
  2. Ibid., 13 juin 1802.