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se portait en ce moment l’héritier glorieux et nullement pénitent de la révolution française. « Immobile, le visage sévère, Napoléon, nous raconte M. Thiers avec une saisissante précision, restait calme, grave, dans l’attitude d’un chef d’empire qui fait un grand acte de volonté, et qui commande de son regard la soumission à tout le monde. »

Cette soumission, qui bientôt ne devait plus lui rien laisser à désirer, avait cette fois déjà dépassé son attente. Au dîner qui eut lieu au retour de Notre-Dame, il se montra aimable comme il était toujours quand les choses avaient tourné selon ses vues. Il fut singulièrement prévenant envers le cardinal. Il lui parla de la cérémonie qui venait d’avoir lieu avec une évidente satisfaction et de la personne du pape avec une sorte de tendresse. « Eh bien ! lui dit-il de ce ton familier dont il se servait habituellement quand il entretenait le légat, voilà qu’à Rome on commence à pouvoir se tenir sur ses jambes. Une journée comme celle-ci ne peut manquer d’y aider... Vous avez vu avec quelle solennité a été faite la publication du concordat, soit à l’église, soit hors de l’église; il aurait été impossible de faire davantage pour qualifier une religion de dominante, hormis de lui donner ce nom[1]. »

En ceci. Napoléon, soit à dessein, soit involontairement, était bien loin de la vérité. A considérer froidement les choses, il est douteux qu’une religion digne de ce nom tire jamais grand profit de l’appui purement extérieur qu’elle reçoit du chef de l’état, si puissant qu’il soit. Ce qui lui importe bien davantage, ce qui établit en réalité son ascendant, ce qu’elle doit honnêtement souhaiter avant tout de ceux qui la protègent, c’est l’adhésion sincère aux dogmes qu’elle professe. Quand l’alliance s’établit en dehors de cette condition, elle peut encore servir le prince sans lui faire toutefois grand honneur; elle peut même être passagèrement utile aux intérêts matériels de l’église qui s’abaisse jusqu’à l’accepter; en tout cas, elle ne tarde pas à lui faire dans l’esprit public un tort moral irréparable. Si bien gardées en effet que soient les apparences, il y a déjà longtemps qu’elles ne trompent plus personne. Elles ne trompent surtout pas le peuple, très clairvoyant en ces matières et naturellement porté à juger plus sévèrement ceux qui sont à ses yeux obligés par état de pratiquer la morale la plus pure et de professer les plus sévères principes; c’est pourquoi il pardonnera plus volontiers au pouvoir civil ses calculs ambitieux qu’au clergé sa profitable complaisance. Devant les consciences simples et droites, qu’il y ait ou méprise ou faiblesse, toute autorité spiri-

  1. Cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 24 avril 1802.