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à se réunir aux Tuileries pour prendre place à côté d’elle dans les voitures officielles et lui servir en quelque sorte de dames d’honneur. Il y avait dans ces simples arrangemens un premier essai d’étiquette et comme une tentative de cour propre à frapper bien des esprits. Tandis que le vulgaire, toujours pris par le côté extérieur des choses, sentait redoubler son admiration pour celui qui manifestait sa puissance en rendant à la population parisienne le plaisir de ces défilés splendides dont elle n’a point encore cessé d’être amoureuse, des observateurs plus avisés cherchaient à surprendre dans la mise en scène du spectacle qui se déroulait sous leurs yeux les signes du temps qui s’annonçait. L’importance et le nombre des personnages que bon gré mal gré le premier consul réussirait à entraîner à sa suite jusqu’au pied des autels allait mieux qu’aucun autre indice témoigner de la progression ascendante de sa fortune. Quel intérêt de pouvoir mesurer pour ainsi dire à l’œil la puissance et le crédit de ce maître futur que tant de gens commençaient à pressentir, et que la plupart s’apprêtaient à servir!

La famille du premier consul et tous ceux qui attachaient quelque espérance personnelle à la réussite de cette première exhibition d’un faste presque royal eurent lieu d’être pleinement satisfaits. Conformément au mot d’ordre qu’ils avaient reçu sans trop de déplaisir, les hauts dignitaires de la république n’avaient point manqué de se pourvoir d’équipages somptueux. Ceux des fonctionnaires inférieurs étaient naturellement moins riches. Quelques-uns, plus modestes ou plus parcimonieux, s’étaient contentés de faire disparaître les numéros des voitures de place qu’ils avaient louées pour la circonstance. Somme toute, malgré ce qu’il y avait d’un peu étrange et de nécessairement disparate dans l’étalage de ce luxe qui renaissait tout à coup après de si terribles bouleversemens, le cortège fut trouvé beau. Les voitures dorées de l’ancienne cour et les femmes jeunes et belles qui les relevaient encore par l’éclat de leur brillante parure excitèrent la vive admiration de la foule. Elle remarqua pour la première fois la livrée verte aux galons d’or qui devait devenir plus tard celle de la maison impériale. Cependant les regards s’attachaient surtout sur le groupe des généraux dont plusieurs portaient des noms déjà fameux. Malgré ce qu’on avait annoncé, ils étaient au grand complet. Une ruse innocente du ministre de la guerre avait eu raison de leur velléité d’opposition. Berthier les avait invités le matin à un grand déjeuner militaire. Le repas fini, il leur avait proposé de les conduire aux Tuileries pour féliciter le premier consul sur le rétablissement de la paix. Arrivés au moment où le cortège se mettait en marche. Napoléon leur avait dit de le suivre, et personne n’avait osé refuser. Ce fut donc environné de tout l’appareil imposant de sa double puis-