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aujourd’hui cet engrais naturel. Mais ce qui mérite encore le plus d’appeler notre attention est le système des chargemens et des déchargemens. Une branche de l’Eastern-counties-railway pénètre en ligne droite et profondément dans l’intérieur des docks. Les wagons arrivent ainsi jusque sur le bord des bassins où se tiennent les steamboats revenus de la mer avec leur cargaison ou en train d’appareiller pour une nouvelle traversée. Le passage de l’eau à la terre n’est dans ce cas pour les marchandises qu’un court relai entre deux sifflemens de vapeur. La branche de l’Eastern-counties-railway communique d’ailleurs avec tous les autres chemins de fer du royaume, et, une fois lancées, les denrées commerciales ne s’arrêtent plus et n’ont aucunement besoin de changer de wagon jusqu’à ce qu’elles arrivent au terme du voyage.

Une autre scène intéressante est l’entrée et la sortie des navires. C’est surtout le départ que je fus à même d’observer. Deux bateaux à vapeur, le Laurent et la Medore, devaient ce jour-là prendre congé des docks pour se rendre au Canada. Un tableau noir annonçait que l’événement aurait lieu à trois heures. Déjà les entre-ponts étaient chargés de marchandises, et les passagers, — hommes, femmes, enfans, — grimpaient non sans peine et un à un les rudes escaliers de corde suspendus le long des flancs du navire. La chaudière bout, la cheminée fume, la vapeur siffle, et pourtant rien ne remue encore. Le Laurent et la Medore étaient deux superbes bâtimens à hélice ; mais on a de la peine à se figurer l’impuissance et l’inertie de ces masses flottantes dans les eaux restreintes des bassins. De quoi leur sert une force qui n’est point à même de se déployer ? Il fallut les tirer l’un et l’autre au moyen de câbles qui viennent peu à peu s’enrouler autour de lourds cabestans en fonte mus par des procédés hydrauliques. C’est en effet l’eau qui, comprimée par certains artifices, est ici l’agent principal et invisible des grands travaux automatiques exécutés à l’aide des instrumens. Les vaisseaux, ces machines servies par des machines, peuvent ainsi suppléer à l’énergie qui leur manque pour le moment. Cependant les deux bateaux à vapeur, secondés par de tels appareils, devaient rencontrer sur leur route plus d’un obstacle, et entre autres un massif pont de fer que traversent les voitures. Qu’on ne s’inquiète point : dans les docks, les obstacles cèdent et s’écartent d’eux-mêmes en vertu de combinaisons latentes. Le pont tourna comme d’instinct sur un de ses axes, et laissa le passage libre. Il n’y avait plus guère que les écluses devant lesquelles s’arrêtèrent un instant l’un à la suite de l’autre les deux bâtimens en partance. Quelques amis qui étaient montés à bord pour dire adieu aux voyageurs descendirent par l’échelle de corde. Les portes destinées à