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gré tout et assiégeant de leurs offres de service l’entrée des magasins où s’entassent les richesses du monde. Ce qui rend ces hommes intéressans, n’est-ce point qu’après tout ils mendient du travail? L’indigence forcément oisive à la porte des grands chantiers où la navigation dépose sans cesse les élémens de la fortune publique, quel contraste !

Ce qui avait attiré les docks dans l’intérieur de Londres est naturellement la facilité de placer les marchandises et de les diriger aussitôt vers leur destination. Cet avantage se trouve aujourd’hui très affaibli par la rapidité des moyens de transport, grâce à un nouvel agent qui supprime les distances. Aussi en 1850 une demande fut-elle adressée au parlement pour construire les Victoria docks à huit ou dix milles de Londres dans d’anciens marais, Plaistow-marsh, et en face d’une crique formée par le cours de la Tamise. La nature avait elle-même préparé les travaux, et, quoique ces docks s’étendent sur une bien plus grande échelle que ceux de Londres et des environs, ils ont coûté beaucoup moins à établir. Toutes les dépenses de la compagnie ne s’élèvent guère à plus d’un million de livres sterling (25 millions de francs). Pour visiter les Victoria docks, je me rendis par eau à Blackwall, d’où un ancien remorqueur faisant aujourd’hui le service de steamboat me conduisit à l’entrée du canal qui se décharge dans la Tamise. Ce qui frappe à première vue est la grandeur des horizons. Dans ces immenses bassins mouillent à l’aise comme dans des lacs tranquilles les plus grosses frégates de la flotte anglaise, par exemple le Northumberland, redoutable masse de fer surmontée de cinq mâts et toute parsemée de canons invisibles. Un des caractères de ces nouveaux engins de guerre cuirassés est en effet l’hypocrisie avec laquelle ils déguisent leurs moyens d’attaque. On dirait un monstre qui cache ses dents. C’est pourtant par hasard et en vue de compléter leur armement que les vaisseaux de guerre séjournent quelquefois dans ces eaux consacrées aux paisibles intérêts du commerce. La malle des Indes occidentales, de gros bâtimens russes, des navires chargés de bois de Campêche et d’autres marchandises que les Anglais appellent bulky (tenant beaucoup de place) : tels sont les habitués des docks Victoria. Ici tout rappelle la mer, et pourtant une association d’oiseaux qui appartiennent bien au rivage répand une espèce de charme sur cet ensemble de travaux nautiques. Avec quelle grâce des pigeons au vol lourd viennent se poser sur les agrès des vaisseaux! Les bassins se montrent bordés de six larges jetées de pierre sur lesquelles s’étendent des magasins considérables. Il y a des hangars (sheds) pouvant contenir jusqu’à cent mille tonnes de guano, et c’est uniquement dans les docks Victoria qu’on dépose