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les Anglais raconter plus d’un épisode triste ou ridicule sur les effets de l’ivresse que développe dans certains cerveaux l’air de ces caves chargées des vapeurs du vin. Les ouvriers eux-mêmes qui traitent dans ces lieux la perfide liqueur, quoique généralement sobres et tempérans, contractent bien vite une expression de figure qui rappelle le masque de Silène. Je me sentais à peine marcher, et mes idées battaient la campagne. Cette impression fâcheuse ne tarda cependant guère à se dissiper, grâce au mouvement et au grand air. Bien en advint, car j’avais encore à visiter le même jour les docks de Sainte-Catherine, Saint-Katharines docks. Ces derniers se trouvent dans le voisinage, et, enveloppés d’un grand mur qui règne sur toute la longueur de Nightingate-Lane, viennent déboucher à l’angle de la place où se dresse la Tour de Londres. Ce sont, de tous les établissemens de ce genre, ceux qui ont le plus coûté à construire. En 1823, une riche société de marchands s’adressa au parlement d’Angleterre pour obtenir l’autorisation de commencer les travaux. Sur les terrains qu’on se proposait d’acheter s’étendait alors un hôpital, hospital of Saint-Katharine; il fallut donc traiter avec le maître et les frères de cette institution de charité. Ils consentirent à se déplacer moyennant une indemnité considérable, et un édifice du même nom fut bâti pour eux à l’est de Regent’s-Park, où il est encore aujourd’hui. Ce n’était point le seul obstacle à vaincre: on dut abattre douze cent cinquante maisons et expulser onze mille trois cents habitans. Le célèbre ingénieur Telford et l’architecte Hardwick dirigèrent cette entreprise. La partie la plus difficile consistait à creuser un sol extrêmement dur et à se défaire des terres. On finit par les transporter sur la Tamise à Millbank, où se trouvaient alors d’anciens réservoirs que l’on voulait combler. Un bassin servit à effacer l’autre. Les docks de Sainte-Catherine sont les seuls dans lesquels les vaisseaux puissent entrer et d’où ils soient à même de sortir pendant la nuit. Les warehouses (magasins), appuyés en grande partie sur des piliers, recouvrent au rez-de-chaussée des galeries ouvertes en forme de cloîtres dans lesquelles on décharge les marchandises et où les hommes se promènent à l’abri du mauvais temps. Toutefois le caractère qui recommande le plus ces docks à l’attention de l’économiste est que, les premiers de tous, ils ont substitué au régime du monopole celui de la liberté. Tandis que les primitifs établissemens de ce genre imposaient aux vaisseaux traitant avec certaines contrées ou chargés de certaines marchandises l’obligation d’entrer dans leurs bassins, les docks de Sainte-Catherine abandonnèrent leur sort au choix et à la convenance des navigateurs. Ce dernier principe est celui qui a universellement triomphé chez nos voisins, car à mesure que s’éteignaient