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brise. De distance en distance se rencontrent le long de la route de grosses lampes arrondies en manière d’œil-de-bœuf, mais qui ne sauraient toutefois vaincre l’obscurité répandue sous les arches de ces catacombes. Des groupes de lumières, les unes fixes, les autres mouvantes, se forment quelquefois à distance : ces étoiles marquent la présence de travaux dont on n’aperçoit guère les ouvriers. Le terrain plat et uni sur lequel on marche est partout recouvert d’une couche de sciure de bois : je regrette d’avoir oublié combien de milliers de boisseaux on en verse par semaine. Les tramways pour conduire les tonneaux sur des chariots à main serpentent dans toutes les directions, et l’on évalue à trente-six milles anglais le chemin parcouru par ces rubans de fer entre-croisés. Nous étions arrivés dans la grande allée souterraine, bordée de chaque côté d’une forêt de piliers, et où se trouve un thermomètre que le surveillant des travaux consulte trois fois par jour. On sait que l’égalité de température est une circonstance très favorable à la santé des vins, et le climat de ces caves ne varie guère que de 2 degrés entre l’hiver et l’été. Au fond d’un des noirs transepts qui débouchent dans la nef principale j’avisai pour la première fois une fenêtre qui communiquait avec l’air extérieur. Comme le mur de la rue dans lequel se trouve percée cette ouverture a douze pieds d’épaisseur, on jugera d’ailleurs aisément que le crépuscule filtrant à travers les pierres était bien faible; c’était juste assez pour faire désirer la lumière du soleil. Des hommes, de jeunes garçons, véritables gnomes de ces ténèbres avinées, passent néanmoins presque toute leur journée dans les caves. La vie se compose pour eux de deux nuits, l’une où l’on travaille, l’autre où l’on se repose. Chemin faisant, le guide appela mon attention sur une sorte de tour en maçonnerie qui traverse toute la hauteur du caveau, mais dont la base se perd sous la terre et le faîte dans l’épaisseur de la voûte. Cette tour, qui n’est après tout qu’un tuyau de briques, jouit en Angleterre d’une certaine célébrité sous le nom de pipe à tabac de la reine (queen’s tobacco pipe). C’est en effet le four dans lequel on consume, par les ordres de la douane, quelques marchandises avariées, telles que le tabac et le thé. Si j’en crois de graves témoignages, cette pipe de la reine ferait pourtant des jaloux. Plus d’une pauvre famille lui envie les substances qu’elle dévore, et dont, tout endommagées qu’elles soient, l’indigence saurait bien encore tirer un certain plaisir. Au moment où je visitai les docks de Londres, il y avait d’ailleurs plusieurs semaines que ne s’était élevée la fumée des sacrifices.

On estime en moyenne à 70 livres sterling (1,872 francs) la valeur de chacune des pièces de vin, et comme il y en a vingt