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traitant avec les Indes occidentales ne s’est pourtant point effacé entièrement. C’est encore là qu’il faut aller, si l’on tient à respirer dans les produits l’odeur de ce groupe d’îles qui a été surnommé le paradis terrestre du Nouveau-Monde.

A une très courte distance des West-India docks, et dans le même village de Blackwall, qui forme aujourd’hui un quartier maritime de Londres, s’étendent les East-India docks (docks des Indes orientales), créés de 1804 à 1806, sous le règne de George III. On pénètre dans l’enceinte murée par une arche massive en pierre appuyée sur de lourdes colonnes et surmontée d’une inscription historique. Un tableau noir indique à l’intérieur le nom des vaisseaux nouvellement arrivés, ainsi que la jetée, le quai et le bassin où ils reposent. Il faut dire que ces docks sont des villes, et que l’adresse d’un navire serait presque aussi difficile à trouver, sans de pareils renseignemens, que celle d’un marchand dans certains quartiers de Londres. La ligne des quais se montre bordée d’un côté par les bassins surchargés de mâts, et de l’autre par les hangars, sheds, destinés à recevoir les marchandises. Ces entrepôts, qui se continuent les uns les autres, sont érigés en bois, avec un toit recouvert de tuiles, et éclairés de distance en distance par des châssis de verre ; sur le plancher de chaque salle sont rangés à droite et à gauche avec un ordre admirable les caisses ou les ballots, tandis qu’un chemin reste ouvert vers le milieu pour les employés. Derrière ces hangars s’élève une autre rangée de magasins fortement construits en briques et fermés de portes en fer[1]; les mots import ou export, écrits en lettres noires, indiquent assez les deux grandes divisions de ces dépôts, et il est certes très curieux de comparer les marchandises qui s’y rencontrent. Les premières (celles qu’on importe) sont en général des matières brutes, telles que des cornes de buffle, l’indigo, la soie, les épices ; sur les secondes (celles qu’on exporte), qui ne reconnaît au contraire à première vue les traits de l’industrie et du travail ? Ce sont des bêches, des charrues, des meubles, des ustensiles destinés à réjouir le foyer domestique. En face des dons de la nature se montre le pouvoir de l’homme qui les façonne, la main qui les convertit en outils pour accroître le bien-être de la famille ou la fécondité de la terre. Une promenade dans les docks est une excellente leçon d’économie politique et d’histoire, les races s’y représentent par l’état de leurs

  1. La dernière fois que je visitai les East-India docks, ces bâtimens venaient d’être détruits par un incendie, et on était en train de les relever. Dix-huit mille balles de chanvre avaient été dévorées par le feu. On pouvait suivre encore les traces du fléau à la surface du sol jonché de ruines et incrusté de larges taches noires. Depuis 1838, les East-India docks ont été réunis sous la même compagnie que les West-India docks.