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ouvrages du même ordre, ils se composent de trois élémens distincts, — les bassins, les quais et les magasins. L’avantage de ces bassins est qu’étant toujours remplis de la même quantité d’eau tranquille, ils tiennent les navires à l’abri du mouvement des marées. Autrefois les gros bâtimens qui étaient en train de décharger près du rivage sur un des quais de la Tamise étaient obligés de s’éloigner au moment où l’eau se retirait et de gagner le large. Rien en effet ne fatigue un grand vaisseau, surtout quand il est chargé, comme de reposer à sec sur la grève. Aujourd’hui ces masses flottantes dorment à l’aise dans leur élément sans se soucier du flux ni du reflux. Comme leur quille ne touche jamais la terre, les vaisseaux n’ont plus à souffrir des avaries causées par le frottement, et pour peu qu’on réfléchisse à la valeur de ces maisons de bois, on s’explique aisément le succès des docks. Les quais destinés à remplacer les anciens wharfs sont de puissantes jetées de granit sur lesquelles s’étalent avec orgueil les marchandises tirées du navire ou sur le point d’y entrer. Chaque bâtiment a sur ces larges plates-formes sa place marquée par une borne et même numérotée. Quant aux magasins, warchouses, ce sont de vastes constructions de briques aux fenêtres fermées de volets de bois ou garnies de barreaux rouilles, aux murs hérissés de poulies qui vont saisir, au moyen de chaînes armées de crampons, les lourds ballots déposés à terre, et les transportent vers les étages supérieurs de l’édifice. Il est curieux de voir ces rudes fardeaux danser comme des marionnettes au bout d’un fil, sous l’ongle de fer qui les accroche.

Une partie des docks de la Tamise est consacrée à l’importation, et l’autre à l’exportation. Cet arrangement facilite beaucoup les transactions commerciales. Des marchandises venues de contrées lointaines ou sorties des fabriques de la Grande-Bretagne changent de main et passent d’un entrepôt à un autre en vertu d’un simple morceau de papier connu sous le nom de warrant-dock, et qui est ensuite considéré dans le monde des affaires comme une des valeurs les plus certaines qu’on puisse offrir. L’autorité de la compagnie garantit en outre à l’acheteur la qualité aussi bien que la quantité exacte des objets vendus. Longtemps les magasins de ces docks ont été encombrés par les produits des Indes occidentales, tels que le rhum, le sucre, le café, le bois d’acajou. Une clause de l’acte de société obligeait en effet tous les vaisseaux chargés des richesses de ces colonies à faire usage des bassins construits à leur intention. Un tel monopole, qui avait été fixé à vingt et une années, n’existe plus : ces mêmes docks sont aujourd’hui ouverts à des navires faisant le commerce avec toutes les parties de la terre. Le cachet primitif dont les avait frappés la riche compagnie des marchands anglais