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bondissent à distance de petits canots, véritables sauterelles du fleuve. Ce sont les nacelles de watermen (bateliers), race autrefois très nombreuse sur la Tamise, mais qui diminue de jour en jour par suite des steamboats faisant l’office de bac, et transportant d’une rive à l’autre les passagers. De tous les côtés quelle rudesse, mais aussi quelle grandeur dans les magasins et les massives constructions qui bordent à droite et gauche le cours majestueux de ces eaux troubles et gravement affairées ! Les tuyaux de tôle mouvans rencontrent en chemin les cheminées immobiles des fabriques; la fumée salue en passant la fumée ; la navigation tend la main à l’industrie.

De distance en distance s’ouvrent sur la rive nord du fleuve des embouchures de canaux fermés par des écluses : c’est l’entrée des docks, dont on peut suivre du regard la vaste étendue, marquée à l’horizon par la forêt de mâts qui les surmontent. Jamais l’Angleterre n’a plus courageusement risqué sa fortune dans de grandes entreprises utiles. Il semblerait à première vue qu’il a fallu les efforts réunis de plusieurs générations pour exécuter de tels ouvrages, et pourtant ces bassins sont tout modernes; notre siècle les a vu creuser. Jusque-là tous les navires entrés dans le port de Londres n’avaient pour décharger leurs marchandises que des quais, appelés les uns legal quays (quais légaux) et les autres sufferance wharfs (quais de souffrance), qui s’étendaient le long des deux rives du fleuve. Ces étroites plates-formes étaient encombrées d’objets de valeur, et d’un autre côté, dans les eaux ouvertes de la Tamise, les bâtimens avaient constamment à se plaindre d’un système organisé de piraterie. Des hommes se glissaient la nuit sur des barques, et à la faveur des ténèbres aussi bien que de la confusion qui régnait parmi les vaisseaux ainsi pressés les uns contre les autres, enlevaient une bonne partie de la cargaison. On estime à 500,000 livres sterling (12,500,000 francs) ce que perdait ainsi par an le commerce de Londres. Dès 1793, un plan avait été proposé pour prévenir ces larcins et remédier aux obstructions du fleuve. Ce ne fut pourtant que six années plus tard, au mois d’août 1802, que s’ouvrirent à la navigation les docks des Indes occidentales, West-India docks, le premier ouvrage de ce genre qui ait été construit dans le voisinage de Londres.

Ces docks, fondés au prix énorme de 1,380,000 livres sterling (34,500,000 francs), s’étendent à travers l’isthme qui relie l’Ile-des-Chiens, Isle of Dogs, à la rive de la Tamise située dans le comté de Middlesex. Ils sont entourés dans toute leur étendue d’un mur épais et haut, destiné à protéger les vaisseaux chargés de marchandises contre les déprédations nocturnes. Ainsi que tous les