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III.

Quand le roi Jacques Ier, irrité contre les habitans de Londres, menaça de transférer sa cour dans une autre partie de l’Angleterre, le lord-maire de la Cité répondit ironiquement : « Nous regrettons beaucoup que vous ayiez l’intention de nous priver de votre royale présence ; mais dans le cas où votre majesté s’éloignera de nous peut-être voudra-t-elle bien nous laisser la Tamise. » Ce fleuve, bien plus qu’aucune protection de la couronne, a en effet contribué à la grandeur commerciale de Londres, et pour l’étranger quel spectacle ! Où trouver ailleurs un pareil va-et-vient de richesses flottantes ? Ce qu’on appelle le port de Londres s’étend depuis London-Bridge jusqu’à North-Foreland, une pointe de terre qui s’avance dans le détroit à l’extrémité de l’île de Thanet. Telles sont du moins les limites qui lui ont été assignées par Charles II ; mais en fait ce port, tracé par le cours même du fleuve, ne se prolonge guère au-delà de Gravesend[1]. C’est déjà une distance de trente-deux milles couverte par tous les produits du monde connu. Les bâtimens au repos, rangés des deux côtés de la Tamise leurs voiles enroulées autour des vergues ainsi que de grands oiseaux de mer aux ailes repliées, se serrent les uns contre les autres en files épaisses, tandis que vers le milieu s’ouvre le chemin d’eau. Sombre et houleux, le noble fleuve, soumis lui-même au mouvement du flux et du reflux, amène du détroit les navires et les reporte vers l’océan. Tels gros vaisseaux revenus d’un long voyage s’avancent lentement au milieu d’une foule de barques, de bateaux à vapeur, de bricks chargés de grain ou de charbon de terre, et s’arrêtent de temps en temps comme des grands seigneurs attendant leur tour dans une procession. À travers cette cohue et cet embarras de navires, des goélettes à voiles de toutes les formes et de toutes les couleurs, grises, brunes et rapiécées, glissent en courant des bordées autour de lourds bâtimens à coque de fer conduits par de minces et agiles remorqueurs ainsi que des baleines traînées par des dauphins. Ces masses flottantes entr’ouvrent profondément la surface des vagues, et dans leur sillage écumeux

  1. Il ne faudrait point confondre le port de Londres avec ce que les Anglais appellent la juridiction de la Cité, qui s’étendait de Staines (dans le comté de Middlesex) jusqu’à une borne en pierre située sur la rive de l’Essex. D’après les anciennes chartes, la corporation de la Cité de Londres était chargée de veiller à l’entretien du fleuve, et le lord-maire portait le titre de « conservateur de la Tamise. » Depuis quelques années, le parlement a enlevé à la corporation les privilèges dont elle jouissait sur les eaux et les a transportés au sein d’un comité dont le lord-maire est président.