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rachent à la mort, et à bien près de 7 ou 800,000 livres sterling la fortune de mer qu’ils disputent aux naufrages. Ce n’est d’ailleurs point impunément que ces braves matelots cherchent à déjouer ainsi la sombre ligue des élémens, plus à craindre que celle des contrebandiers. En 1859, quatre gardes-côtes de Pevensey, sur les bords du Sussex, reçurent l’ordre de lancer immédiatement leur canot et de voler au secours d’un petit bâtiment qui se défendait mal, à une distance de plus d’un mille, contre les vagues bouillonnantes. La mer était très mauvaise, et le danger semblait évident; mais le lieutenant avait parlé, et la discipline n’admet point d’objections : ils partirent. Au bout de quelques minutes, le frêle bateau soulevé, renversé par la force des lames, chavirait à une centaine de mètres du rivage. On vit alors les quatre vaillans marins s’accrocher avec les ongles à la coque du canot retourné sur lui-même, et lutter désespérément contre le ressac; mais faute d’une ceinture de liège ils ne purent longtemps tenir tête à un ennemi trop inégal, et disparurent pour jamais à mesure que le bateau coulait à fond. De telles catastrophes ne sont pas très rares. En pareil cas, l’attorney ouvre une enquête, le jury déclare que ces hommes ont été « noyés par accident; » on sert une modeste pension aux veuves, les orphelins sont le plus souvent adoptés par les autres boatmen, et tout est dit. De nouveaux marins qu’attend peut-être le même sort prennent courageusement la place de ceux dont la tombe s’est ouverte au sein des vagues. Qui n’admirerait pourtant ces obscurs dévouemens, et comment une nation si soucieuse de sa gloire maritime ne cherche-t-elle point à prévenir de pareils sacrifices par des mesures efficaces? Les gardes-côtes ne reçoivent qu’une très mince rémunération pour les marchandises de grande valeur qu’ils dérobent aux appétits destructeurs de l’océan. Il est vrai que le 1er mars de chaque année le gouvernement distribue deux médailles, l’une d’honneur et l’autre à laquelle est attachée une gratification, pour chacun des vaisseaux formant le centre d’un district de coast-guards. Parmi les richesses que rejette la mer et qu’ils sont chargés de recueillir pour les remettre ensuite entre les mains de l’état, ces hommes relèvent quelquefois les tristes victimes des naufrages. Dernièrement encore, le long des côtes de Norfolk, un objet attira sur le sable l’attention des gardes : c’était le cadavre d’une femme.

La plupart d’entre eux sont logés par le gouvernement, et quand il n’y a pas de maison pour les recevoir, on leur accorde une indemnité de 5 livres sterling (125 francs) par an. Les cottages bâtis pour les gardes-côtes se composent de quatre chambres, deux au rez-de-chaussée et deux au premier étage, avec une cuisine et une