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commerce illicite, et plus d’un vigoureux gaillard des côtes déploya sur mer dans ses rencontres avec les agens de l’autorité un courage digne d’une meilleure cause. On estime à plus de 800,000 livres sterling (20 millions de francs) la somme annuelle que perdait alors l’état sur l’entrée clandestine des marchandises françaises.

Le trésor public n’aime point le roman, surtout quand ses intérêts en souffrent, et, malgré les sympathies plus ou moins avouées pour les exploits des smugglers, il résolut de maintenir énergiquement ses droits. En 1822, un système de blocus, soutenu par une flotte de cinquante-deux croisières, entreprit de purger le détroit et les mers britanniques de ces terribles ennemis de la douane. En deux années (1822 et 1823), on saisit sur les côtes du royaume-uni cinquante-deux navires et trois cent quatre-vingts bateaux engagés dans la contrebande. Sur terre, le blocus se composait alors de quinze cents officiers et matelots de la marine royale qui agissaient sous les ordres de l’amirauté et d’une armée de gardes-côtes placés en ce temps-là dans la dépendance du board of customs (conseil des douanes). La lutte fat vive entre les agens du trésor et les contrebandiers anglais : de part et d’autre éclatèrent des actes de valeur personnelle qui eussent été mieux placés dans une grande épopée navale. Cependant ce régime de protection était ruineux pour l’état, lequel dépensait d’une main plus qu’il ne recouvrait de l’autre[1]. Est-ce d’ailleurs au courage très réel de la force préventive qu’il faut attribuer chez nos voisins l’abolition presque entière de la contrebande ? Non vraiment : ce qui a mis fin au règne des smugglers est la réduction successive des droits d’entrée. Qui avait tort dans ce temps-là du gouvernement ou de la contrebande ? Très probablement l’un et l’autre, puisque la fraude, entée sur l’élévation des tarifs, a presque disparu sans retour du moment où une politique plus sage et plus éclairée fit un pas vers le libre échange. Swift avait coutume de dire que dans l’arithmétique des douanes deux et deux, au lieu de faire quatre, ne faisaient souvent qu’un. Que n’indiquait-il en même temps le moyen de prévenir de tels mécomptes ? Aujourd’hui ce remède est trouvé, c’est de ne point demander au pays plus qu’il ne peut donner. La liberté, en diminuant les charges, a rétabli la balance entre les calculs et les recettes dans le budget des douanes anglaises.

Depuis 1857, les gardes-côtes ont passé de la surveillance du

  1. En 1832, on évaluait à bien près de 800,000 livres sterling ce que coûtait à l’état la répression d’un délit auquel tant de mains participaient sans scrupule. Plus de 181,000 livres sterling (4,525,000 fr.) furent dépensés l’année suivante (1832) rien qu’à construire sur les côtes de la mer des cottages pour les officiers et les gardes dans les comtés du Kent et du Sussex.