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mité des dépenses le pays était résigné d’avance à tous les sacrifiées pour couvrir sa position menacée sur les mers. Puisque les murs de bois avaient fait leur temps, c’est aux murs de fer qu’il demandait maintenant le moyen de ressaisir la suprématie. Ce qui arrêta le mouvement de reconstruction de la flotte en Angleterre est ce qui paralyse un peu partout l’ardeur des hommes d’état. Les découvertes et les inventions se succèdent de notre temps avec une telle rapidité qu’au milieu de ces changemens à vue l’esprit flotte incertain d’une méthode à une autre. Que choisir? à quoi s’arrêter? Les chimériques projets d’hier deviennent coup sur coup les réalités du jour et les vieilleries du lendemain. Comment hasarder la fortune d’un pays sur tel ou tel système d’armement, quand il faudra peut-être, au bout de quelques mois, recommencer les mêmes dépenses d’après un autre système encore plus efficace? Pour ne parler que des vaisseaux, c’est maintenant un défi perpétuel entre le boulet et la cuirasse; on se voit ainsi obligé de redoubler de jour en jour la force de l’armure, entamée successivement par l’énergie croissante des projectiles. Ce qu’on poursuit est l’idéal d’un navire de guerre incombustible et invulnérable; mais, au moment où l’on croit l’avoir atteint, cet idéal s’évanouit dans la fumée des expériences. Qui ne comprend qu’un pareil état de choses ait plus d’une fois embarrassé les lords de l’amirauté? Certes une volonté forte aurait pu triompher de tels obstacles; mais cette résolution inébranlable, comment l’attendre d’hommes étrangers pour la plupart à la marine et d’un conseil dont la responsabilité s’efface à chaque instant derrière celle du ministre ? Si le jour venait où la nation anglaise eût à demander des comptes à l’amirauté, qui accuserait-elle, les lords d’hier ou ceux d’aujourd’hui ? Un voile impénétrable couvre également leurs actes.

Le fléau des comités est en Angleterre l’esprit de routine. Dans ces conseils, n’est-ce point d’ailleurs la même classe de la société qui sous différentes couleurs politiques manie de génération en génération les ressorts du gouvernement? En temps de paix, la nation laisse faire; elle attend son jour, bien sûre de peser à un moment de crise sur le timon des affaires. Qu’il arrive une guerre, et l’opinion publique, réveillée en sursaut, réclame alors sur un ton impérieux des mesures et des réformes à la hauteur des circonstances. C’est ce qui advint en 1854, lorsque la campagne de Crimée avertit nos alliés de ce qui manquait alors à l’armée anglaise. En sera-t-il de même pour la marine? Faudra-t-il une guerre avec l’Amérique pour secouer l’inertie administrative de la Grande-Bretagne? A Dieu ne plaise! l’égoïsme des âges de barbarie, chassé peu à peu des relations sociales, s’est en dernier lieu réfugié dans les rapports