Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/518

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce que je veux conclure de ces faits est l’importance que les Anglais attachent à leur flotte. De leurs vaisseaux dépendent en grande partie le sort de leurs armées et la supériorité de leur commerce. Pour comprendre l’organisation de la marine de l’état, il nous faut d’abord étudier le pouvoir qui la dirige. L’amirauté, quoique étrangère à l’administration de la marine marchande, est en quelque sorte le palladium d’une nation de navigateurs.


I.

A Londres, dans Parliament-street, s’élève un sombre édifice de briques dont le principal corps de logis fait retraite au fond d’une cour triste et humide. Pour le ramener à l’alignement de la rue, il a fallu lui donner deux ailes qui n’ajoutent rien à la nudité monotone de l’architecture. C’est pourtant là que siège l’amirauté. Les Anglais ont longtemps affecté le dédain des formes monumentales; on dirait même qu’ils tenaient à honneur de conduire les affaires de l’état dans de simples et obscures maisons. Le contraste entre l’éclat d’un grand pouvoir maritime et la pauvreté mesquine d’une telle résidence avait pourtant frappé nos voisins eux-mêmes dès le milieu du dernier siècle. En 1776, ils confièrent à deux architectes, les frères Adam, le soin de masquer par un écran de pierre la laideur irréparable de l’édifice. Y a-t-on réussi? J’en doute fort : certains emblèmes sculptés d’une main adroite, quoique timide, tels que des chevaux de mer ailés, la proue d’une galère romaine et l’avant d’un navire de guerre anglais, indiquent du moins assez clairement le caractère et la destination de ce bâtiment public. A défaut d’élégance et de beauté, il se recommande par quelques anciens souvenirs, et c’est un titre auprès d’un peuple très amoureux de son histoire nationale.

L’amirauté était autrefois Wallingford-house, ainsi nommée, dit Pennant, le célèbre chroniqueur anglais, « parce que cette maison avait été habitée par les Knollys, vicomtes Wallingford. » Olivier Cromwell y tint quelques-uns de ses conseils, et là naquit le fameux George Villiers, duc de Buckingham, qui devint en 1666 un des membres de l’administration connue sous le nom de Cabale. La restauration lui avait remis entre les mains un revenu de 20,000 liv. sterling qu’il dissipa en toute sorte d’extravagances. Fils d’un père assassiné sous le règne de Charles Ier, dont il était le favori, tour à tour alchimiste, peintre, rimeur, musicien, homme d’état, bel esprit sans jugement, débauché, faisant du jour la nuit et de la nuit le jour, ambitieux et extrême dans tous les partis, le second George Villiers tranchait, par ses vices et ses excentricités, même