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sentiment du style. Une séance eut lieu à l’Opéra, où divers morceaux du grand répertoire furent abordés non sans succès pour M. Capoul, puis on se sépara fort enchantés les uns des autres, et les choses en restèrent là. La première pensée du directeur avait pu être de spéculer sur la fraîcheur de ce talent, mais il comprit bientôt que cette voix si délicate, dont la gracilité juvénile fait aujourd’hui le charme principal, ne tarderait pas à succomber au travail d’acclimatation. Cette impression, partagée par M. Verdi, fut aussi, j’aime à le croire, celle du jeune chanteur, qui déjà doit avoir mesuré ses forces et se connaître assez pour sentir que sa vraie place est à l’Opéra-Comique. Un coup d’exploitation voulait l’en tirer, à défaut d’un bon procès l’instinct de sa propre conservation l’y retiendra. Rien d’ailleurs ne disait que cette histoire ne finirait point de la sorte. Qui sait ? peut-être qu’alors chacun serait content, le Théâtre-Lyrique tout le premier, qui, dégrisé de son aventure, se retrouverait avoir, sans risques ni périls, fait beaucoup de bruit autour de son Roméo, car nous pratiquons maintenant ce beau système au théâtre. Une pièce y réussit, surtout en raison des épisodes qui précèdent son avènement. C’est à M. Sardou que l’art contemporain doit rendre grâce de l’invention, nul ne s’entend comme l’auteur de Nos bons Villageois à passionner ce genre d’avant-scène. Pour un mot, il retire sa pièce, prend les dieux à témoins du dommage irréparable qu’on lui cause : c’est le fruit d’un labeur de six mois anéanti, un déficit de cent mille francs dans le budget d’un pauvre travailleur de la pensée ! Il faut l’entendre, lire.ses lettres aux journaux ; Pascal ni Molière ne le prendraient pas de plus haut. Honnête public parisien que ces éplorations de comédie trouvent crédule, tu n’as pas encore fini d’essuyer ton pleur que déjà la pièce morte ou qu’on croyait morte ressuscite. Tu te disais : C’est écrit, on ne jouera pas Maison neuve au Vaudeville ! Rassure-toi, M. Sardou consent à se laisser fléchir, il cède aux supplications gémissantes de tout un théâtre aux abois ; rassure-toi, tout est arrangé. C’était un truc, une stratégie, un emblème comme disait Scribe dans l’Étoile du Nord, et trois cents représentations vont te mettre à même de payer à ce victime de la littérature le tribut de ton admiration et de ta prud’homie ! — En musique, M. Gounod pratique aussi fort habilement cet art américain. Il sait comme pas un compositeur de notre temps battre le rappel sur la peau d’âne. Assurément tous ses opéras n’ont pas réussi, mais tous ont eu leur petite ou grande mise en scène avant l’heure, leur question Capoul plus ou moins émouvante et pathétique. On nous dirait qu’après tout le bruit qui s’est fait à cette occasion autour de son Roméo et Juliette M. Gounod a retiré sa partition que cela ne nous étonnerait guère, et nous apprendrions de main que cette partition, retirée aujourd’hui, vient d’être rendue au théâtre, que cela nous étonnerait moins encore.


F. DE LAGENEVAIS.


F. BULOZ.