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et de larmes versées en secret une faiblesse d’un instant, on la voit venir faire, en présence de son fils, la confession publique de sa honte, et l’on voit ce fils, qui tout à l’heure frémissait à l’idée de retenir une fortune dont le bon sens et la loi le déclarent possesseur légitime, assister à l’humiliation de sa mère sans frémir, sans lui fermer la bouche de la main, et accepter le bénéfice de ce dévouement.

Le public, jusque-là si bénin, a trouvé que cette fois M. Vacquerie lui demandait un peu trop, et il a été sur le point de se fâcher. Quant à nous, il y avait longtemps que nous en avions plus qu’assez. Traîner les gens durant quatre actes à travers des situations intolérables, c’est être bien dur-, mais prolonger chaque scène sans mesure, les épuiser à fond l’une après l’autre sans nous faire grâce d’un mot, d’un détail, d’une péripétie, d’une difficulté, d’une objection, c’est un martyre que M. Vacquerie aurait bien fait d’abréger par politesse sinon par humanité. Scènes d’amour, scènes d’angoisse et de terreur, monologues, discussions d’affaires, interrogatoires, tout est développé avec un soin de ne rien laisser à deviner qui est véritablement outrageant. M. Vacquerie pratique, sous les auspices d’un grand maître, un système dont la règle est, quand on a tout dit, d’amplifier encore, de se défier sans cesse de l’intelligence du public, de ne se contenter jamais d’indications et de sous-entendus, de tout accentuer comme si l’on parlait à des sourds. Cela ne donne pas beaucoup de légèreté ni de finesse au dialogue ; mais de cette façon rien ne se perd, et l’auteur n’a pas à craindre que la délicatesse de ses intentions vous échappe ou qu’une seule scène reste sans effet. Il n’a que trop raison. Il y a de ces représentations dont on se souvient longtemps.

Comment de telles œuvres peuvent-elles se soutenir, ne fût-ce que deux jours, au Théâtre-Français, devant un public qui ne saurait avoir perdu toute espèce de discernement littéraire ? Nous ne craignons pas d’attribuer à la grande habileté des artistes l’honneur et la responsabilité de ces succès de mauvais aloi, et c’est une grave question de savoir si cette habileté ne devient pas à la longue plus funeste qu’utile à l’art dramatique. Lorsqu’il s’agissait d’œuvres à la fois fortes et vraies, tout l’effort de l’acteur, sa plus haute ambition, son art le plus accompli était de rendre ce qui était contenu dans l’œuvre, l’idée dans toute sa vigueur, le sentiment avec toutes ses nuances et dans toute sa force. Heureux quand la parole du poète ne dépassait pas toutes les ressources de réalisation possible, et quand l’imagination insatiable n’était pas forcée de combler elle-même la distance qui sépare l’idée de l’exécution ! L’acteur rivalisait avec le poète, et ils y gagnaient tous les deux ; aujourd’hui l’acteur n’est plus l’émule du poète, il est son correcteur. Son art s’emploie tout entier à sauver des situations impossibles ou scabreuses, à donner les dehors de la vérité et de la vie à des caractères dépourvus de vie et de vérité, à voiler à force de bonhomie ou de distinction les affectations ou les trivialités d’un style qui n’est plus d’aucune langue. Il faut que l’acteur renonce à toutes les qualités