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envers l’honneur, la philanthropie : qu’il dote des écoles et des académies, et s’il craint, en faisant largesse de la fortune d’autrui, d’usurper une considération qui ne lui coûte rien, la bienfaisance secrète, la défense gratuite des plaideurs pauvres, toute une vie de travail désintéressé sera peut-être une réparation suffisante, sans qu’il aille jeter le trouble dans deux familles et le désespoir dans tant de cœurs, y compris le sien.

Nous n’avons pas la présomption de proposer à M. Vacquerie l’humble moyen par lequel nous aurions voulu voir son héros se tirer d’affaire. Il faut des solutions plus idéales et plus belles à nos moralistes de théâtre : ils sont sans pitié aucune pour de pauvres personnages qui ne demanderaient pas mieux que de se conduire comme tout le monde et d’être honnêtes sans tout casser. Notre temps sans doute a lieu de s’enorgueillir d’avoir des moralistes si raffinés, qui ne se contentent pas à moins d’une immolation sans réserve, et dont la sévérité farouche n’admet pas les voies adoucies. Nous sera-t-il toutefois permis de le dire ? ces difficultés subtiles ne nous plaisent pas, ces principes absolus et hautains ne nous rassurent qu’à demi. L’écart est trop grand entre ce que vous demandez et ce qui est possible à notre faiblesse ; soyez moins rudes, si vous voulez qu’on prenne vos arrêts au sérieux ; ayez des ménagemens, si la question que vous agitez devant nous est autre chose qu’un thème de théâtre. Jansénisme moral, jésuitisme moral, ce sont des indices qui nous inquiètent également ; l’un est le pendant et la contre-partie de l’autre, et nous les confondrions en vérité, si l’on n’apercevait entre eux une différence très réelle : c’est que le premier se renferme dans la théorie et s’en va tout en phrases, tandis que le second préside souverainement à la pratique. Qui sait ? ils ne sont peut-être pas si séparés qu’on le croit : le coup de génie du jésuitisme ne serait-il pas, en restant ce qu’il est, d’avoir adopté le langage de son adversaire ?

Disons-le tout net, cette morale est profondément immorale ; le héros de M. Vacquerie n’est pas seulement un niais, c’est un esprit faux et un fils imprudent. Nous soutenons que cette fortune que la loi lui attribue, il doit la garder au lieu d’aller s’enquérir si curieusement de son droit, car il ne peut faire cette enquête sans se rendre coupable envers sa mère d’un odieux outrage. Si quelque inquiétude assiège son esprit, son devoir est de la refouler, non de s’attacher à la piste que lui offre le hasard et qui ne peut le conduire à rien de bon. Cet avocat si superstitieux à l’endroit des lois sur l’héritage devrait se souvenir que si l’axiome, is pater est… doit être au-dessus de l’examen, c’est surtout pour le fils, car il ne peut le révoquer en doute sans porter atteinte à l’honneur maternel. Le Télémaque d’Homère est plus sage : il se croit le fils d’Ulysse parce que sa mère le lui a dit, il n’en veut pas savoir plus long ; voilà le bon sens et voilà le devoir. Si la foi en cette matière est de prudence pour le père, elle est de stricte obligation pour le fils.

Les circonstances qui amènent Louis Berteau à se livrer à cette étrange recherche sont combinées du reste avec un merveilleux respect de la