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Il aurait dû savoir que l’histoire n’est pas tenue d’être plus claire que les faits qu’elle rapporte. Réduite souvent à enregistrer des actes équivoques, parce que les mobiles en sont cachés dans les profondeurs de l’âme humaine, elle est et doit à jamais rester pleine d’énigmes. Comme il ne lui est permis de rien inventer, elle est obligée de se payer des raisons, la plupart du temps insuffisantes, qui lui sont accessibles. Nos actions, a dit un moraliste, sont comme les bouts-rimés que chacun fait rapporter à ce qu’il lui plait. Ce mot s’applique éminemment aux actions historiques ; mais le poète a pleine liberté de les commenter, et, si dans l’histoire tout est discutable parce que tout est incomplet, il faut que chez lui tout se simplifie et s’illumine, parce qu’il lui appartient d’allumer le grand flambeau placé dans le cœur de l’homme, et d’où émane toute lumière ; il lui appartient d’expliquer par les raisons les plus irréfragables les événemens dont les causes vraies se dérobent à l’histoire, que dis-je ? d’en mettre au jour, dans les ressorts secrets du caractère, l’irrésistible nécessité. De rapides allusions, subtilement glissées dans l’exposition pour nous remettre en mémoire ce qui est nécessaire à l’intelligence de la situation, ne suffisent pas, comme M. Bouilhet semble le croire, pour que nous le tenions quitte avec nous. Ces réminiscences ne lui sont d’aucun secours. Nous déclarons avoir évoqué de la meilleure foi du monde le souvenir de tout ce que nous avions lu sur cette époque, pour suppléer aux lacunes du drame et nous y reconnaître un peu ; rien n’y a fait, il n’en est pas devenu plus clair. Il nous a paru, en regardant autour de nous, que la plupart de nos voisins n’étaient pas plus à leur aise. Nous avons lu clairement dans leurs yeux la pénible application de gens qui tachent de comprendre sans y réussir, et qui de guerre lasse s’abandonnent après d’infructueux efforts à cette quiétude morne qui n’est pas celle d’une intelligence satisfaite, mais annonce simplement les approches du sommeil, qu’on voyait en effet descendre peu à peu sur les fronts résignés. Que M. Bouilhet le sache bien, le drame, et le drame historique comme tout autre, ne s’édifie pas laborieusement pièce à pièce sur des fondemens empruntés ; c’est un monde clos et complet qui ne s’appuie que sur lui-même, qui porte en lui sa propre explication, et duquel on peut dire, comme du monde fantastique de Virgile, qu’il a son soleil et sa lumière.

Du reste, si le drame de M. Bouilhet ne s’écarte pas d’une certaine conformité matérielle aux données de l’histoire, il n’en est pas pour cela plus fidèle à la vérité morale. Nous n’apercevons rien chez ses personnages de ces mâles vertus ni de ces vices robustes qui font le XVIe siècle si terrible et si grand. Toutes les figures sont effacées et neutres. Une seule, Poltrot de Méré, un des conjurés d’Amboise, que l’indécision et la folie des chefs du parti poussent par degrés dans la voie solitaire de l’assassinat, est esquissée avec une certaine énergie ; mais elle ne fait que passer, sans être mêlée directement à l’action. Quant à Condé, ce n’est pas certes un grand chef de parti, ni un conspirateur exemplaire ; intrépide, mais léger et