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peuples. Ce n’est point là une œuvre d’intervention étrangère, d’expédition militaire, de main armée. L’état laïque français, sorti de la révolution française après une série d’efforts séculaires pour rompre l’alliance impie d’une église ambitieuse et d’un pouvoir tyrannique, est la négation absolue et radicale du régime qu’on voudrait nous voir perpétuer par une injuste oppression en Italie. Et à ce sujet on ne saurait trop admirer l’aveuglement des esprits étroits et emportés qui assiègent en ce moment le saint-siège de leurs exhortations violentes. Ces exaltés poussent à la rupture, à la lutte, sans savoir où les mèneront les périls qu’ils provoquent. Ils n’ont aucun plan, le déchirement actuel leur suffirait, parce qu’ils ne veulent ni étudier l’avenir, ni le comprendre, ni s’y préparer. Et cependant quelle série de conceptions grandes et fortes devrait occuper la pensée de ceux qui sont liés par une foi vive aux destinées de l’église catholique ! Quels changemens la force des choses n’apportera-t-elle point dans le mécanisme de l’organisation catholique ! Que la papauté abandonne Rome, ou qu’elle y conserve sa grande place, n’est-il pas manifeste que les élémens du gouvernement de l’église devront bientôt changer ? Ce bizarre expédient tout entaché de politique humaine qui limitait aux têtes italiennes le privilège de l’infaillibilité pourra-t-il être encore longtemps en usage ? Ce collège des cardinaux, combinaison qui devait à l’origine donner une représentation suprême de l’église universelle, qui sous l’influence corruptrice du temps a été si souvent l’objet de cupidités scandaleuses, et qui avait fini par n’être plus qu’un conseil étroit d’un petit gouvernement où les Italiens avaient pris une majorité débordante, le collège des cardinaux pourra-t-il demeurer soumis aux mêmes modes de composition ? Qui n’a été frappé, en lisant l’histoire de la papauté, de l’influence que les lentes révolutions de l’Europe ont exercée sur la nature, le caractère et l’étendue du pouvoir pontifical ? Ne voit-on pas le pape commencer par être le chef d’une sorte de république municipale, puis subir toutes les vicissitudes des agitations de l’époque féodale, devenir conquérant à la façon des capitaines d’aventure de la fin du XVe siècle et diplomate à la manière des politiques du XVIe ? La papauté, à mesure que le système des royautés despotiques s’établit en Europe, n’affuble-t-elle pas enfin le catholicisme des formes de la monarchie autocratique à la Louis XIV ? Que de services se rendirent mutuellement durant cette période, la plus rapprochée de nous, les deux omnipotences, celle du trône et celle de l’autel ! Quel contrat d’intolérance fut alors passé entre elles ! Quelles complaisances tyranniques et abominables n’échangèrent-elles point ! Toute notre histoire politique depuis deux siècles saigne et gémit des effets de cette funeste union ; les résistances de nos parlemens gallicans ne furent qu’une protestation simultanée et incessante contre l’arbitraire du despotisme royal et contre les prétentions de l’autocratie romaine. Ce qui va finir et, nous l’espérons, se transformer en Italie n’est plus, il est vrai, que le monument délabré de l’odieuse alliance des deux pouvoirs ; mais la France ne peut point s’attendrir sur ces vestiges