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nous serve du moins à quelque chose, qu’elle nous apprenne à éviter de compromettre par des démarches inconsidérées et par de petits expédiens imaginés à l’étourdie, dans l’ordre diplomatique, militaire ou financier, le grand acte qui va s’accomplir.

Pour le succès de l’innovation qui va être inaugurée, la France n’a rien de mieux à faire que de laisser entièrement et absolument le gouvernement italien et le gouvernement pontifical à leurs propres responsabilités. Ne fournissons à aucun prix ni à l’un ni à l’autre le prétexte d’attribuer à une pression ou à une immixtion française la cause d’un échec. Respecter strictement les libres résolutions de l’Italie et de la papauté, c’est le meilleur moyen de se montrer généreux envers elles et de leur réserver la plénitude de leur propre mérite dans le succès d’une réconciliation. Le gouvernement de Florence et la cour de Rome, livrés à eux-mêmes, sont placés sous le jugement du monde, et vont affronter des responsabilités dont le sentiment ne doit point être faussé par des diversions et des préoccupations étrangères. L’occasion est une de celles qui conviennent le mieux aux qualités des hommes d’état italiens : les Italiens sont encore très imparfaits dans l’organisation militaire, ils ne sont point imbus encore des principes de l’ordre financier, ils sont novices dans l’administration ; mais, personne ne le niera, comme gouvernement et comme peuple, ils excellent par l’esprit politique. Ils ont l’esprit politique trop pénétrant et trop juste pour qu’il soit permis de craindre qu’ils s’exposent gratuitement, sous les regards du monde, au reproche d’avoir rendu impossible, au point de vue de l’indépendance de la conscience catholique, la continuation de la présence du pape à Rome. C’est ici au contraire qu’ils peuvent, par la sérénité de leur esprit, par la générosité libérale à laquelle ils doivent leur émancipation, par leur prudente patience, remporter une victoire d’un éclat et d’un profit immortels. Les joies de l’heure présente s’unissent pour leur rendre cette tâche facile et les incliner aux conseils de la grande politique. Les Italiens n’ont plus, comme nation, de causes d’irritation ou de mauvaise humeur ; l’Italien sombre, l’Italien souffrant, l’Italien conspirateur que nous avons connu si longtemps n’a plus de raison d’être ; il disparaît tout à fait aujourd’hui dans les fêtes joyeuses de Venise affranchie. Les aimables gaîtés vénitiennes, complète et charmante expression du bien-être d’âme avec lequel l’Italie goûte l’achèvement véritable de son indépendance, ne peuvent avoir pour lendemain des scènes lugubres et désolées à Rome le jour où le dernier intervenant étranger, l’allié et l’ami celui-là, l’hôte sympathique et désintéressé, quittera le territoire pontifical. Par le calme, par le bon sens, par la mansuétude qu’elle est appelée à montrer dans le changement de condition militaire de Rome, l’Italie peut acquérir des titres impérissables à l’admiration et à la reconnaissance de l’humanité. Elle ne fera point défaut à la grande mission que lui impose la destinée, devenue enfin clémente et souriante pour elle.

La crise sera-t-elle précipitée par la cour de Rome ? Nous ne le pensons