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Elle suivait ainsi, courbée et pas à pas,
Regardant par instant, dans un muet délire,
Un homme assis plus loin et qui feignait de lire
Et souriait, croyant qu’on ne le voyait pas.

Peut-être le mari, mais sans doute le père,
Qui tâchait de porter l’ivresse dignement,
Et dont les doux regards allaient furtivement
De la mère à l’enfant, de l’enfant à la mère.

Et par ce beau soleil flottait sur tout cela
Je ne sais quoi d’ému que le printemps apporte ;
J’entendis le bonheur murmurer : « Je suis là…
Et je sortis rêveur — en fermant bien la porte.

LE CHÊNE.

Sur la falaise, tout là-bas,
Et si haut qu’on ne le voit pas,
Tout là-bas où finit la terre,
Cabré sur l’abîme, effaré,
Tordant ses bras, désespéré,
Un vieux chêne est là solitaire,

Comme une hydre aux flancs du granit,
Là-bas où la terre finit,
Là-bas où l’infini commence :
La plaine rase autour de lui,
En haut le ciel où rien ne luit,
En bas la mer, la mer immense.

Il est rouillé comme du fer ;
Accroupi sous le vent de mer,
Il geint avec de sourds murmures ;
Il geint les nuits, il geint les jours,
Toujours dans ses branches, toujours
On entend comme un bruit d’armures.

Toujours il lutte et se débat.
L’ouragan l’insulte et le bat,
Les flots lui jettent de l’écume,
La trombe l’a pris pour plastron,
Et la foudre, ce forgeron,
Le martèle comme une enclume.