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LE JARDIN.

Je passais, — j’entendis de la route poudreuse
Que derrière le mur on riait aux éclats,
Et je poussai la porte. — A travers les lilas,
Voici ce que je vis dans la maison heureuse :

Un tout petit enfant essayait au jardin,
Au doux enchantement de sa mère ravie,
Dans le parterre en fleur et sur le gazon fin,
Ses pas, les premiers pas qu’il eût faits de sa vie.

Cher amour ! il allait tout tremblant, il allait,
Avançant au hasard son pied mignon et frêle,
Hésitant et penché, si faible qu’il semblait
Que le papillon dût le renverser de l’aile.

Impatient pourtant, égratignant le sol
De son pas inquiet, avec l’ardeur étrange
Et les trémoussemens d’oiseau qui prend son vol…
Dans les petits enfans il reste encor de l’ange.

Et lui, se pâmant d’aise à ce monde inconnu,
Suivait l’oiseau qui vole ou parlait à la rose,
Et tout en gazouillant quelque charmante chose
Ouvrait toujours plus grand son grand œil ingénu.

Et l’on voyait alors les splendeurs de l’espace
Et les candeurs du ciel et les gaîtés de l’air,
Et luire ce qui luit et passer ce qui passe
Dans le tout petit ciel de cet œil pur et clair.

Parfois il s’arrêtait, tournait un peu la tête
Vers sa mère orgueilleuse et toute à l’admirer,
Et repartait avec de grands rires de fête,
Ces rires si joyeux qu’ils vous en font pleurer.

Oh ! la mère, elle était à ne pouvoir décrire
Avec son geste avide, anxieux, étonné,
Et de tout son amour couvant son nouveau-né
Et marchant de son pas et riant de son rire.

Elle tenait ses bras étendus vers l’enfant
Ainsi qu’on tend les bras vers le fruit que l’on cueille,
Le défendant de mal comme un rosier défend
Le bouton de sa rose avec ses mains de feuille.