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toujours réunies, nous n’aurions pas les lettres d’abord, et Mme de Sévigné se serait peut-être plus d’une fois aperçue qu’elle s’était fait une idole qui lui rendait l’amitié laborieuse.

Tout est contraste entre la mère et la fille, tout est affinité entre Mme de Sévigné et son fils. Le malheur de ce fils, c’est d’avoir disparu dans le tourbillon de cette passion maternelle toujours sur le chemin de Grignan, et de plus d’avoir été lancé dans l’histoire par quelque mot sanglant de Ninon, d’être plus connu pour ses équipées de jeunesse que pour ses qualités. Au fond, c’est une nature aimable, fine et sincère ; par la physionomie, il ressemble un peu à sa sœur, il tient de sa mère par le caractère ; il a reçu d’elle la gaîté, la facilité, la bonne grâce. Elle le sait bien, et en paraissant uniquement occupée de la Provence, elle ne laisse pas de garder une part de son cœur pour ce fils en qui elle se sent revivre ; elle le suit du regard dans ses campagnes, à Candie, en Flandre, sur le Rhin, sous M. de Turenne, sous M. de Luxembourg. « Il est parti, dit-elle, j’en ai pleuré amèrement ; je n’aurai pas un moment de repos pendant ce voyage ; j’en vois tous les périls, j’en suis morte. » Et une autre fois elle écrit à sa fille : « Vous dites que je ne vous dis rien de votre frère ; je ne sais pourquoi ; j’y pense à tout moment et j’en suis dans des inquiétudes extrêmes ; je l’aime fort, et il vit avec moi d’une manière charmante ; ses lettres sont aussi d’une manière que, si on les trouve jamais dans ma cassette, on croira qu’elles sont du plus honnête homme de mon temps. » Le petit guidon des gendarmes-dauphin a, il est vrai, de fréquentes distractions ; il a l’humeur légère, et il fait autant de campagnes avec Ninon, avec la Champmeslé et bien d’autres qu’avec M. de Luxembourg ou M. de Turenne ; mais il a du bon, il « vaut son pesant d’or. »

D’abord il a une grande vertu : il a le cœur bien placé et n’a aucune jalousie de l’affection enthousiaste dont sa sœur est l’objet ; il aime sa mère comme celle-ci peut-être voudrait être aimée de sa fille. Toutes les fois qu’il peut être auprès d’elle, il s’y retrouve avec délices ; il l’entoure, il la divertit, il l’occupe, il se fait son lecteur à Livry et aux Rochers, et, à y regarder de près, on pourrait dire qu’il y a beaucoup plus d’intimité dans les rapports de Mme de Sévigné avec son fils que dans ses relations avec sa fille. Rien n’est plus plaisant d’ailleurs que cette intimité. Par exemple Mme de Sévigné écoute d’étranges confidences et entre dans de singuliers détails : elle gronde son fils, il convient de tout, et ils sont toujours d’accord. « Il est plaisant, écrit-elle ;… il me conte toutes ses folies, je le gronde et je fais scrupule de les écouter, et pourtant je les écoute. Il me réjouit, il cherche à me plaire ; je connais la sorte d’amitié qu’il a pour moi ; il est ravi de celle que vous me