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encore sont vertes. Vous n’avez jamais observé cette beauté… » Elle sait bien trouver du reste de quoi s’occuper : elle plante et elle coupe. « Je m’amuse à faire abattre de grands arbres. Le tracas que cela fait représente au naturel les tapisseries où l’on peint les ouvrages de l’hiver : des arbres qu’on abat, des gens qui scient, d’autres qui font des bûches, d’autres qui chargent une charrette, et moi au milieu, voilà le tableau… » Et moyennant cela, sans compter le reste, la vie passe si vite qu’elle ne sait « comme on peut si profondément se désespérer des affaires de ce monde. » Telle est la différence entre ces femmes d’autrefois : Mme de La Fayette vit dans son salon, tout au plus dans son jardin ; Mme de Sévigné se sent à l’aise en pleine nature agreste.

Le moment vient où entre cette femme de Vitré, comme elle s’appelle, et son monde de Paris éclate justement à ce sujet une sorte d’escarmouche amicale qui est la révélation piquante de cette opposition de goûts, de cette différence d’humeur. Mme de Coulanges ne peut comprendre que Mme de Sévigné, qui commence déjà à n’être plus jeune, veuille passer son hiver dans ses « humides Rochers. » Mme de La Fayette, avec une amitié impérieuse, fait une charge à fond contre cette idée étrange de s’enfouir au bout du monde. « Il est question, ma belle, qu’il ne faut point que vous passiez l’hiver en Bretagne, à quelque prix que ce soit. Vous êtes vieille, les Rocher sont pleins de bois, les catarrhes et les fluxions vous accableront ; vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera ; tout cela est sûr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de ce que je vous dis… » Mme de Sévigné est sensible à l’amitié qu’on lui montre ; mais à Mme de Coulanges elle répond gaîment : « Humide vous-même. » Et elle écrit à sa fille au sujet de toutes les offres de Mme de La Fayette : « Ce mot d’être l’hiver aux Rochers effraie. Hélas ! c’est la plus douce chose du monde. Je ris quelquefois et je dis : C’est donc cela qu’on appelle passer l’hiver dans des bois ! » Elle rit en effet, et elle reste aux Rochers sans en mourir du tout. — Comme nos merveilleuses contemporaines qui ont l’ambition d’être des reines de salon et du monde, et qui ont tout, excepté ce que l’argent ne donne pas, — comme elles-feraient bien d’aller prendre des leçons de naturel, de saine élégance et même de simplicité auprès de cette campagnarde, grande dame et bonne femme, qui se remet de la douceur dans l’esprit avec « le vert naissant et les rossignols, » et qui sait si bien se plaire dans la compagnie « de ses moutons et de ses vaches, » avec qui elle va causer dans la prairie ! Mais non, ce serait peut-être pour elles, une dangereuse école : elles seraient capables d’acheter de faux cheveux pour conformer leur coiffure à la tradition,