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de Bretagne tout ce qui a occupé cette active et expansive nature, tout ce qui en fait la saine, la vivante et cordiale originalité.

Le secret de cette originalité en tout, dans la vie de campagne comme dans la vie mondaine, dans les mouvemens du cœur, dans les saillies de l’esprit, dans les goûts, dans les habitudes et jusque dans la dévotion, c’est la vérité, même quand elle semble garder encore « ce reste de bel air qui la rend précieuse. » Mme de Sévigné est femme, disais-je, femme par tout ce qu’il y a de meilleur et de plus attrayant, par la spontanéité des impressions, par la mouvante diversité d’une nature libre, sincère et facile dans sa fécondité. Elle a je ne sais quoi de vivant qui se dégage des préciosités et des affectations, de toutes les atmosphères factices. Ce n’est ni une précieuse, quoiqu’elle ait passé par l’hôtel de Rambouillet et qu’elle ait bien du raffinement, ni une dévote janséniste, quoiqu’elle ait une grande tendresse pour ces chers messieurs de Port-Royal et un grand faible pour tout ce qui vient de là, ni une mondaine à la façon de Mme de La Fayette, quoiqu’elle soit bien attirée par le faubourg, C’est une femme.

On le devinerait presque rien qu’à la voir, non dans tous les portraits de fantaisie qui ont couru et qui courent encore sous son nom, mais dans l’image la plus vraie, la plus authentique probablement, celle qui a été tracée par le peintre Nanteuil et gravée par Edelink. Ce qui domine sous le rayonnement de la grâce et de l’esprit qui transfigurait tout, c’est une certaine bonhomie, une certaine réalité un peu massive par le bas, sans trop d’idéal, sans excès de distinction, et le portrait écrit, — le chien de portrait, comme elle l’appelle, — qui se rapproche le plus de la gravure d’Edelink pourrait bien être celui qui a été laissé en si mauvaise compagnie par le plus compromettant, le plus médisant, le plus vaniteux des amis et des parens, Bussy, — le même qui voulait un jour consoler un peu trop Mme de Sévigné des infidélités de son mari, et qu’elle arrêtait d’un mot plaisant : « Tout beau, monsieur le comte ! je ne suis pas si fâchée que cela. » C’est bien elle, telle qu’elle a été, telle qu’elle a dû être, avec « les yeux petits et brillans, la bouche plate, mais de belle couleur, le front avancé, le nez carré par le bout, la mâchoire comme le bout du nez, les cheveux blonds, déliés et épais, » et tout cela, sans être beau en détail, formant l’ensemble le plus agréable. Sur ce visage, où il y a tout excepté le grand air, on sent la vie, le mouvement ; on entrevoit la femme aimable et facile, libre d’instinct, malicieuse sans fiel, laissant de côté « les pruderies qui ne lui sont pas naturelles, » se prêtant à tout, prenant les choses et les hommes pour ce qu’ils sont, et répétant le mot : « Tout est à facettes, tout est vrai, c’est le monde. »