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de ses champs, s’intéressant à tout ce qui s’agite autour d’elle, à la réunion des états, aux troubles de la province, aux petites aventures de Vitré, recevant de son mieux les visiteurs attirés par son esprit aussi bien que par sa gracieuse hospitalité, et en définitive toujours charmée de se retrouver seule, — seule du moins avec son fils, avec l’abbé de Coulanges, avec la Mousse, — trouvant du temps pour tout, s’occupant, s’égayant de tout et racontant tout à sa fille.

Le moment où ses lettres commencent à se coordonner et à devenir une chronique suivie, la plus spirituelle des chroniques, est aussi le moment où elle apparaît en Bretagne comme une reine, presque dans l’éclat d’un personnage public ; c’est l’époque où les états se rassemblent à Vitré en 1673. Brillante encore dans sa maturité épanouie, liée avec tout ce qu’il y a d’illustre, belle-mère du lieutenant-général de Provence depuis quelques années, renommée pour son esprit, Mme de Sévigné est une trop grande dame pour n’être pas un personnage essentiel dans une si importante circonstance. D’abord les gouverneurs, le duc et la duchesse de Chaulnes, qui tiennent à ne pas s’ennuyer, proclament sa présence nécessaire au service du roi. Que fait-on aux états ? Ce n’est pas encore pour le peuple l’heure d’entrer en scène, de tout saccager et d’être pendu. Pour le moment on vote de l’argent, on dîne, on boit surtout, on danse. Toute la noblesse de la province est réunie. Mme de Sévigné se mêle à tout ce monde, et il faut voir comme elle décrit cette « immensité de Bretons, » où il y a pourtant quelques gens d’esprit, et les mangeries, et le menuet de M. de Locmaria et de M. de Coëtlogon ! « C’était une grande joie de me voir aux états, où je ne fus de ma vie, écrit-elle. Je n’ai pas voulu en voir l’ouverture, c’était trop matin. Les états ne doivent pas être longs, il n’y a qu’à demander ce que veut le roi, on ne dit pas un mot : voilà qui est fait. Pour le gouverneur, il y trouve je ne sais comment plus de quarante mille écus qui lui reviennent. Une infinité d’autres présens, des pensions, des réparations des chemins et des villes, quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bais éternels, des comédies trois fois la semaine, voilà les états. J’oublie quatre cents pièces de vin qu’on y boit ; mais si j’oubliais ce petit article, les autres ne l’oublieraient pas, et c’est le premier… » Puis, quand le programme est bien rempli, elle ajoute avec sa mordante gaîté : « Le contrat de notre province avec le roi fut signé vendredi ; mais auparavant on donna deux mille louis d’or à Mme de Chaulnes et beaucoup d’autres présens. Ce n’est point que nous soyons riches, mais c’est que nous avons du courage, c’est que nous sommes honnêtes, et qu’entre midi et une heure nous ne savons