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Vitré, de Fougères, qui est resté avec son caractère saisissant et pittoresque. On dirait un immense fourré feuillu, touffu, verdoyant, une forêt infinie s’étendant de la plaine au coteau, coupée par intervalles de champs et de prairies, parsemée de clairières, d’étangs et de vieux châteaux, dont les vieilles tours se dressent grisonnantes au-dessus des épais massifs. C’est dans un pli de cette immensité de verdure que se cachent les Rochers, à une lieue et demie de Vitré. On y va par un chemin dont se fût fort accommodée la brillante châtelaine d’autrefois, et qui court entre les haies vives, les clos, les taillis, vers Argentré. On ne voit le château que de loin, par-dessus la cime des arbres, ou quand on y arrive tout à fait. Il ne reste guère du vieil édifice que la tour, qui me rappelait par sa forme élancée et aigue une tour de mon pays. Une partie plus moderne a été ajoutée depuis. Tout auprès, la chapelle construite avec tant d’amour par l’abbé de Coulanges élève encore dans l’air son dôme dont l’ardoise reluit sous le soleil. D’un côté sont les jardins, la grande cour, le parc, les labyrinthes, les bois aux allées infinies avec les pavillons qu’on essaie aujourd’hui de relever ou de soutenir ; de l’autre, entre le château et des dépendances, se déroule en s’élargissant un vaste espace qui a été, si je ne me trompe, le manège ou le jeu de longue paume, et qui descend vers une pelouse formant une terrasse naturelle d’où on domine la vallée, les Bas-Rochers, le moulin. Le domaine touche de ce côté à la terre des Duplessis-Argentré, dont il n’est séparé que par l’étang du Beuvron, objet d’éternelle querelle entre les deux maisons. C’est de cette famille qu’était cette pauvre Duplessis qui poursuivait de son amitié Mme de Sévigné, et que celle-ci poursuivait tout bas de ses amusantes, de ses immortelles malignités. Tels sont cependant les jeux de la fortune : autrefois les Sévigné éclipsaient les Duplessis ; aujourd’hui les Rochers n’égalent pas en beauté, en magnificence pittoresque le château voisin d’Argentré, jeté nonchalamment au milieu de ses immenses prairies, de ses eaux vives et de ses ombrages. Dans son ensemble, ce paysage touffu, solitaire, plein de silence, a une gravité douce, un air d’aimable sauvagerie, de mystère pénétrant qui attire et fait rêver.

Ce n’est rien aujourd’hui d’aller en Bretagne, à Vitré et aux Rochers ; au temps passé c’était le bout du monde : c’était une aventure, un exil, tout au moins une expédition lointaine, — d’où on revenait encore, il est vrai. Figurez-vous d’abord Mme de Sévigné sortant d’un hôtel de Rambouillet ou d’un salon du faubourg, de chez Mme de La Fayette, pour se mettre en chemin avec le bon abbé de Coulanges. Une chose bien sûre, c’est qu’avec une telle femme la gaîté, l’esprit, la vivacité de l’imagination vont être du voyage.