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du Périgord est devenu un lieu de pèlerinage pour avoir abrité Montaigne. Combourg vit par Chateaubriand. Les curieux de poésie iront quelque jour chercher Lamartine à Milly, quand le bruit, le triste bruit des créanciers et des souscriptions aura cessé. Voltaire lui-même a eu Ferney, Rousseau a eu les Charmettes. Je n’en finirais pas. Et Mme de Sévigné, elle aussi, la belle dame, la reine des beaux esprits, Mme de Sévigné, en dehors de Paris et de son tourbillon, en dehors de la cour et de ses intrigues, a eu ses aimables retraites ; elle a eu Livry, elle eu ses bois des Rochers, où elle se déploie à l’aise, qu’elle décrit de mille façons toujours nouvelles, et sur lesquels elle a laissé pour jamais un rayon de sa popularité charmante. Ah ! qu’il y aurait bien, ce me semble, un curieux et piquant chapitre à tracer sous ce titre : Mme de Sévigné aux Rochers ! Mme de Sévigné loin de Paris, en pleine Bretagne, recueillant les bruits du monde en faisant ses foins, lisant Rabelais ou M. Nicole avec son fils, avec la Mousse, tandis que sa pensée vole en Provence vers sa fille, s’intéressant aux contes de son jardinier, aux affaires bretonnes comme aux aventures de Versailles et de Fontainebleau, laissant parler sur son exil et en définitive heureuse, parce que la source du contentement était en elle, parce que, selon le mot de Mme de La Fayette, la joie était l’état de son âme.

Ce n’est pas que depuis deux siècles bien des choses n’aient changé dans ce coin de terre consacré par l’imagination la plus étincelante. La hache a fait crier plus d’une fois toutes ces dryades et ces hamadryades que Mme de Sévigné plaignait avec un si spirituel attendrissement quand on coupait ses bois. Les arbres qu’elle a plantés ont disparu, et après ceux-là d’autres sont tombés encore. Les futaies ont servi de temps à autre à grossir l’héritage. Les propriétaires qui se sont succédé ont été moins occupés, si je ne me trompe, de la gracieuse mémoire dont ils étaient les gardiens que de leurs convenances, et je crains même que dans cette maison à la haute et fine tourelle il ne reste plus une grande provision de l’esprit, de l’humeur hospitalière et accueillante de la maîtresse d’autrefois. On raconte qu’un jour, il n’y a pas si longtemps, un héritier lointain et indirect se plaignait tout haut des curiosités indiscrètes que lui attiraient les paperasses d’une telle aïeule. N’importe, deux choses restent encore : le paysage d’une calme austérité et l’image de celle « qui fut le génie de ce morceau de Bretagne. Si l’ombre de Mme de Sévigné n’habite plus la maison des Rochers, elle est partout autour du château, flottante et insaisissable.

Je l’ai entrevue l’autre mois se dérobant dans ses clairières. C’était par un de ces « temps miraculeux » que la belle dame décrit elle-même au courant de sa plume, par un de ces « beaux jours de