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UNE
VISITE AUX ROCHERS

MADAME DE SEVIGNE EN BRETAGNE.

C’est le destin des enfans des hommes qui passent dans le monde portant au front un de ces reflets qui s’appellent le génie ou la beauté, la grâce ou l’esprit, de laisser comme une trace lumineuse partout où ils ont vécu, partout où ils ont aimé et pensé. Ils ont une patrie natale ou une patrie d’adoption, un séjour préféré, dont le nom reste lié à leur nom au point d’en devenir inséparable. On se plaît à les suivre dans ces lieux de prédilection, où leur fantôme semble errer encore comme un hôte invisible et familier, où tout parle d’eux, où l’on dirait qu’ils vont à chaque instant reparaître, et qui ne seraient rien, qui seraient restés à jamais obscurs, si ces privilégiés n’avaient laissé partout l’empreinte de leurs pas, la magie des souvenirs. Une ville est trop grande, surtout quand elle s’appelle Paris, elle a vu trop d’événemens, pour s’absorber dans une existence individuelle, dans l’éclat d’une renommée. Molière est une grande gloire, et Paris serait encore Paris sans Molière : on a même de la peine à trouver la maison de l’auteur du Misanthrope ; mais que seraient Vaucluse sans Pétrarque, Strafford-sur-Avon sans Shakspeare, et Ferrare elle-même sans le Tasse ? Auprès de Florence, on montre encore San-Casciano, où Machiavel dans sa disgrâce partageait son temps entre les viriles lectures et les entretiens familiers avec les paysans. Un petit château