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moins profondément au tissu mécanique de la réalité. Elle les constate, mais sans s’y arrêter, recherchant toujours la cause efficiente et satisfaite de sa recherche seulement quand elle est parvenue à ce point qui marque la dernière limite de son effort et de sa compétence, la dernière cause déterminable ou quelque cause sourde qui ne répond plus à ses questions. C’est assez dire qu’elle n’a rien à voir dans les questions d’origine. La nature de la méthode qu’elle emploie exclusivement lui interdit les problèmes de cet ordre, et, si la philosophie positive ne faisait que signifier à la science cette interdiction absolue, elle aurait mille fois raison. Le problème des origines comme celui des fins est contradictoire à l’idée qu’il faut se faire de la science positive. La méthode expérimentale ne peut nous donner que l’actuel, le présent, le fait, l’avenir même, en supposant que l’ordre des choses dont nous faisons partie subsiste ; elle ne nous donne pas et ne peut pas nous donner le commencement des choses, où elle n’atteindra jamais ; elle nous donne le comment, jamais le pourquoi, les conditions immédiates et prochaines, non les vraies causes. Même les inductions sur ce qui s’est passé à l’origine de toutes choses sont hors de son domaine. Son objet propre est la loi, c’est-à-dire la suite réglée des phénomènes dans les limites de l’ordre existant de l’univers matériel : rien de plus. Si l’univers a eu un commencement, ce commencement, par les conditions même de l’hypothèse, échappe à la loi du déterminisme, et c’est une remarque fort juste de M. Stuart Mill que, à supposer qu’elles aient commencé, les lois de la nature ne peuvent rendre compte de leur propre origine. La science positive devient donc une métaphysique, c’est-à-dire qu’elle cesse absolument d’être ce qu’elle est, dès qu’elle avance même une hypothèse dans cet ordre de problèmes. Elle tombe immédiatement sous le contrôle non plus de l’expérience, mais de la raison pure. Le sens véritablement scientifique ne s’y trompe pas : il s’arrête à cette limite marquée par les faits observables et sensibles ; il ne s’aventure pas en un dogmatisme qui n’est pas de sa compétence et qui ne fait qu’ajouter aux difficultés inhérentes à toute solution métaphysique une inconséquence de plus, une contradiction manifeste au principe de sa méthode.

C’est d’un tout autre point de vue que le métaphysicien considère la nature. Le savant a raison, et il est dans son strict devoir scientifique quand il recherche partout et avant tout la suite et la liaison nécessaire des faits observables ; mais le métaphysicien a raison aussi lorsque, au nom d’une science supérieure, il cherche à démêler la loi idéale d’ordre, d’harmonie et de beauté qui est comme voilée sous le mécanisme apparent de la nature. Cette loi existe :