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plus en plus que c’est non pas l’animal qui est notre être, mais l’esprit, que c’est de là que nous relevons, que ces phénomènes ne peuvent résulter de quelque équilibre mécanique, de quelque arrangement nouveau de molécules, de quelque composition extraordinaire de la matière, que s’il y a quelque rapport concevable entre l’électricité et l’étendue, il n’y en a aucun d’intelligible entre l’étendue et la pensée, non plus qu’entre l’étendue et le sentiment du devoir.

Il s’aperçoit lui-même dans le fond de son être, il saisit son existence intime sous ses vrais attributs, la simplicité absolue, l’indivisible unité, il observe les phénomènes qui la manifestent, il dégage les lois qui relient ces phénomènes entre eux en y établissant l’ordre sans y faire régner la nécessité. C’est la réflexion qui l’instruit de tout cela, et la réflexion c’est bien de l’expérience encore, mais l’expérience de l’esprit appliqué à l’esprit, se recueillant dans son essence, se ressaisissant lui-même ou de l’attrait du monde extérieur qui l’absorbe ou de la multiplicité des actes intérieurs qui le dispersent. Cette expérience ne comporte pas les procédés rigoureux et les règles du déterminisme scientifique, et toutes les fois qu’on a voulu les imposer de force à ces phénomènes délicats de l’âme, que la spontanéité toujours agissante dispute à chaque instant et ravit en partie à l’empire de la fatalité, on n’a pu aboutir qu’à bouleverser la nature sous prétexte de la soumettre tout entière, dans ses parties les plus diverses, à une seule règle, à une seule méthode. On a transporté arbitrairement la science positive dans une région où elle a été dépaysée, égarée. Les plus grands efforts de l’intelligence sont venus se résoudre dans des constructions artificielles, pures créations de l’esprit systématique, ingénieuses et laborieuses machines, à qui il n’a manqué que de vivre.

Ce n’est pas seulement cette distinction des deux régions de l’expérience qui sépare la science positive et la philosophie. Elles diffèrent aussi par le point de vue d’où l’une et l’autre considèrent la nature. Ici encore il y aurait à tracer entre les deux sciences une limite idéale que nous ne pouvons qu’indiquer d’un trait bien rapide, mais dont la suppression ou le déplacement troublerait profondément l’ordre entier des connaissances humaines. La science positive n’étudie les phénomènes que pour y retrouver la suite nécessaire, l’enchaînement, la dépendance réciproque. Ce qui constitue son objet propre, c’est la recherche des conditions d’existence de chaque fait observable et sensible. Elle ne nie pas à priori les causes finales, mais elle ne s’en occupe qu’incidemment ; tout au plus elle constate, sur quelques points de son vaste domaine, l’évidence des marques de dessein et de plan qui se mêlent plus ou