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réglementer arbitrairement ses domaines, ce qu’elle fait d’ordinaire de la manière la plus simple du monde, en les supprimant. La question des limites est celle d’où dépendent la paix et le bon accord des deux sciences voisines. Ne pourrait-on pas déterminer ces limites en disant que la science positive va aussi loin que s’étend la réalité observable et sensible, et qu’elle s’arrête précisément là où l’expérience des sens ne pénètre pas ? Son domaine, c’est la nature, si l’on restreint ce mot au sens spécial et limité que lui assignent d’ordinaire les savans, c’est-à-dire à cette partie de la réalité dont les propriétés se révèlent à notre esprit par l’intermédiaire de nos organes ou des instrumens qui en étendent la portée et en régularisent l’emploi. Qui dit nature en ce sens dit enchaînement nécessaire des faits sensibles, liés entre eux de telle façon que, l’un d’eux se produisant, l’autre se produit nécessairement, que, l’un variant, l’autre varie, l’un étant l’antécédent, l’autre le conséquent, l’un la condition d’existence et la cause immédiate, l’autre l’effet. Dans cette vaste région de l’expérience sensible, là où la nécessité physique, l’enchaînement des faits dans une série continue dont chaque terme appelle l’autre n’apparaît pas clairement à l’esprit, c’est que la science positive n’est pas encore faite sur ce point, mais d’avance on sait qu’elle y parviendra : on dit alors de cette partie de la réalité qu’elle est déterminable, sinon encore déterminée. On affirme, avec une certitude autorisée par la suite continue des progrès de la science positive, qu’elle comblera cette lacune où quelque idole de la fausse science, quelque cause occulte pourrait trouver encore asile, qu’elle parviendra un jour ou l’autre, un peu plus tôt ou un peu plus tard, à rétablir l’anneau qui manque dans ce réseau si fortement lié des phénomènes. C’est à cette notion du déterminisme, qui est la conception de la nature vue du côté scientifique et expérimental, que s’oppose la philosophie proprement dite. La recherche métaphysique commence dès que l’esprit s’élève au-dessus de cette partie de la réalité soumise à l’expérience sensible qui se résout, à l’analyse, en une suite de mouvemens déterminés les uns par les autres, formant comme la chaîne d’airain de la nécessité physique.

Elle embrasse cet ordre supérieur de faits et d’existences qui, n’étant plus observables par les sens, échappent non pas seulement aux prises actuelles, mais aux prises possibles du déterminisme scientifique. Cet ordre de réalités est placé en dehors de l’infini matériel de grandeur et de petitesse que nos instrumens sont parvenus à saisir. Aucune expérimentation sensible ne pénétrera jamais dans cette sphère, qui ne s’ouvre qu’aux perceptions les plus délicates de la conscience. Sans doute, comme tout est lié dans l’ensemble des réalités contingentes, il y a encore des conditions