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La métaphysique a, je le sais, des devoirs envers les sciences positives. Il faut qu’elle les observe rigoureusement, si elle veut faire tourner à son profit la décisive épreuve qu’elle subit en ce moment. La première condition me paraît être qu’elle ne prenne aucun ombrage des sciences positives, de leurs progrès, de leurs conquêtes. Une vérité n’a rien à craindre d’une autre vérité. Si nous sommes la vérité, que redoutons-nous ? Si l’accord ne se montre pas immédiatement entre une théorie scientifique et une théorie philosophique, il se fera plus tard, n’en doutez pas, par le moyen de quelque théorie supérieure qui les réunira et fera disparaître dans une harmonie plus haute leur apparente contradiction. Si l’accord ne peut absolument pas se faire, il en faut bien conclure que notre doctrine est incomplète, ou que le théorème scientifique est faux par quelque côté. C’est un avertissement qu’il faut élargir et compléter l’une, vérifier l’autre et le soumettre à un nouveau contrôle. Reconnaissons donc les sciences positives dans la pleine liberté de leurs méthodes, acceptons leurs résultats sans mesquines chicanes, quand même ces résultats dérangeraient quelques-unes des conceptions idéales de notre esprit.

Mais il importe ici de distinguer avec soin deux choses que l’opinion frivole confond trop souvent : les faits et les conclusions que certains esprits impatiens en tirent à la hâte, confondant ainsi et mêlant avec une dangereuse habileté les vérités scientifiques avec leurs conjectures personnelles. Les faits, quand ils sont bien observés, bien démontrés, quand ils ont acquis tous leurs titres de légalité scientifique, empressons-nous de les enregistrer, d’en accroître le trésor de nos connaissances, tenons-les en grande considération, comme un fragment de la vérité absolue, et gardons-nous bien d’y laisser porter la plus légère atteinte par une prévention systématique ; mais gardons-nous avec le même soin de confondre dans le même respect d’une part les faits, d’autre part les hypothèses ou explications provisoires par lesquelles on prétend en rendre compte, et surtout les inductions que l’on s’empresse d’en faire sortir. Le tact scientifique consiste précisément à faire ce triage. Ces hypothèses souvent imprudentes, ces inductions hâtives, cette philosophie prématurée que l’on veut construire à tout prix sur la base encore incertaine ou trop étroite de certains faits, les vrais savans les rejettent. Ceux qui les recherchent et les poursuivent, avec une joie qui trahit leur secret dessein, pour la plus grande confusion de la métaphysique, ce sont ces esprits aventureux que la science sérieuse n’avoue pas et qui la compromettent. Si la métaphysique a, comme on l’assure, ses retardataires obstinés, ses vieillards d’idée, que les vérités nouvelles effraient, la science, elle aussi, on le sait, a ses enfans terribles.