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sans cesse à s’élever, elle fait remonter la science vers la cause ou la source des choses ; elle lui montre qu’en dehors d’elle il y a des questions qui tourmentent l’humanité, qu’elle n’a pas même abordées, et qu’elle ne résout pas en les supprimant. On ignore, nous dit-on, si cette aspiration de l’esprit humain aura une fin, si elle trouvera une limite. Qu’importe ? Si elle aide la science à marcher sans cesse, à avancer toujours, son utilité est assez manifeste par là même et son droit consacré. — Ici encore l’école expérimentale marque avec insistance son dissentiment absolu avec les positivistes. Elle déclare hautement qu’elle n’admet pas la science qui prétendrait supprimer les vérités philosophiques, parce qu’elles sont actuellement hors de son domaine. Elle proclame que la vraie science ne supprime rien, mais qu’elle cherche toujours et regarde en face, sans se troubler, les choses qu’elle ne comprend pas. « Nier ces choses ne serait pas les supprimer ; ce serait fermer les yeux et croire que la lumière n’existe pas. »[1].

Prenons acte de ces déclarations et ne nous étonnons pas trop, surtout gardons-nous bien de nous scandaliser, si l’on vient ensuite nous dire, en fixant les limites de la science et de la philosophie, que tout ce qui est déterminable appartient au domaine scientifique, et qu’il ne reste à la philosophie que le vague domaine de l’indéterminé. Dans le dictionnaire propre à l’école expérimentale, ces mots prennent une signification un peu différente de celle que l’usage leur attribue généralement. Rappelons-nous qu’il n’y a de déterminé, aux yeux de cette école, que les phénomènes que l’expérience a rattachés à leurs conditions d’existence, de telle sorte que l’expérimentateur puisse les faire varier à son gré, les reproduire toujours et nécessairement, ou les suspendre indéfiniment en agissant sûr ces conditions. Or il est trop évident que ce critérium du déterminisme absolu ne trouve son application et son emploi que dans l’ordre des phénomènes matériels, et encore n’est-il pas rigoureusement démontré, bien que la science tende de plus en plus à ce résultat, que toutes les propriétés de la matière, par exemple celles de la matière vivante, puissent être déterminées de cette façon, c’est-à-dire connues scientifiquement dans leur rapport avec les propriétés générales de la matière brute, et que tous les phénomènes de la vie trouvent leurs conditions absolues d’existence dans les lois de la physique et de la chimie. Si donc par hypothèse il existe des phénomènes d’un tout autre ordre, il ne faudrait pas s’étonner qu’ils fussent indéterminés. Ils seraient même par essence indéterminables dans le sens que donne à ce mot la science positive,

  1. Introduction à la Médecine expérimentale, p. 380, etc.